ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Cath Langlois
Ouvrant la pièce avec un numéro chanté, juste avant que le titre de la pièce ne soit projeté sur un écran et que l’action ne débute véritablement, presque comme un générique d’ouverture, la metteuse en scène Maryse Lapierre semble avoir voulu donner des allures de film à sa production; un véritable road movie qui nous fera voyager autant qu’il nous bouleversera.
Le personnage de Nicola-Frank Vachon (ou Vachon lui-même, on en vient à ne plus savoir tant le jeu du comédien est fluide et naturel) ne croit pas au concept de la bucket list. Lorsqu’on sait qu’il ne nous reste que six mois à vivre, à quoi cela nous avance-t-il de s’ajouter des choses à faire et à régler? Mieux vaut en effet retirer son sens et sa valeur à tout ce qui nous entoure, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien qui ne vaille la peine de rester en vie, non? Pourtant, la rencontre imprévue d’une fille étrange, mystérieuse mais singulièrement décomplexée ne pourra faire autrement que de changer sa pensée, puisque malgré leur pacte informel, il se développera entre les deux une relation d’une intimité beaucoup plus grande qu’ils ne l’auraient cru.
C’est lors d’un voyage organisé en Islande que la paire se rencontre, alors que lui a établi que cette île serait sa destination finale et qu’elle s’y trouve pour ses études. Croyant d’abord cette rencontre fortuite et sans lendemain, les deux débutent un jeu aussi jouissif pour eux que pour les spectateurs: puisqu’ils ne se connaissent pas, n’ont aucune raison de se juger et ne se doivent rien, ils devront toujours être complètement honnêtes l’un envers l’autre alors qu’ils commenceront à se poser des questions à tour de rôle, tantôt loufoques, tantôt très sérieuses. Peut-être même un peu trop, se rendra-t-elle compte, lorsqu’il lui révélera la raison de son voyage en Islande et sa mort imminente.
Croyant d’abord à une blague, la jeune femme voudra ensuite accompagner le jeune homme dans sa quête de mourir. «L’euthanasie, on dit que c’est un suicide assisté», lui rappellera-t-elle, pour le convaincre que ça lui prend quelqu’un à ses côtés pour l’appuyer. Ainsi débutera une grande aventure poétique, parsemée de moments de grande intensité où les deux tenteront de vivre, pour vrai, de vraies sensations, mais aussi d’instants simples emplis de discussions plus ou moins banales.
On sera tantôt touchés par les révélations qu’ils en viendront à se faire l’un l’autre et par leur difficulté à trouver le bonheur, et souvent, on rira aussi à leurs côtés, notamment d’une certaine théorie de la vie qu’a l’homme, mais aussi beaucoup en raison des réactions de la femme à ladite théorie.
Dans son interprétation de la jeune femme, Mary-Lee Picknell est effectivement saisissante de naturel, et ses réactions presque toujours exagérées ne riment surtout pas avec un jeu gros et faux. On croit au personnage et on se plait à la suivre dans ses excès, tout comme on est ravis par la magnifique candeur qui relie l’homme et la femme. Tout est vrai et honnête entre eux deux, tout comme leur interprétation, dont on ne sait pas si elle est inspirée par la vérité des personnages ou si ce sont les personnages qui sont ainsi en raison de leurs interprètes. Tout ce qu’on sait, c’est que rien ne semble faux dans ce texte et dans cette interprétation, et que tout est à sa place. On ne sent ni le texte à l’arrière ni les contraintes de la mise en scène, car même les déplacements sont justifiés et servent toujours, tantôt à déplacer une chaise, tantôt à créer un effet, et le résultat est d’une fluidité impressionnante.
Tant l’apport tout en douceur de la musique interprétée en direct par Philip Larouche que les sympathiques chansonnettes poussées, tantôt en islandais, tantôt en anglais, toujours dans un répertoire folk – celui dans lequel les deux personnages auraient rêvé de faire carrière –, sont eux aussi bien dosés, et l’ingéniosité, l’inventivité et le pouvoir évocateur de l’ensemble des techniques employées pour livrer le récit étonnent et ravissent. De l’utilisation de la vidéo pour projeter des images captées en direct par des cellulaires, sur des écrans savamment placés ou sur la tente, aux jeux d’ombres évocateurs et bien utilisés, jusqu’à l’emploi de chaises à l’endroit ou à l’envers pour recréer des terrains sinueux, tout est presque aussi beau que pratique dans cette pièce aussi drôle que touchante.
Le texte résolument moderne de Nicola-Frank Vachon traite de sujets d’actualité tout en représentant bien la vérité d’une jeune génération en quête de sens, mais aussi de beauté; à la recherche du bonheur mais toujours prisonnière de grandes questions existentielles et philosophiques qui l’empêche d’y accéder. C’est donc pour son inventivité, mais aussi pour son accessibilité, sa douce folie et ses intenses réflexions, son humour et sa sincérité, sa poésie et la beauté de la complicité qui unit Nicola-Frank Vachon et Mary-Lee Picknell, qu’Hypo est une pièce à avoir absolument cet automne!
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Par Cath Langlois
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