ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Valérie Remise
La pièce qui clôture cette exceptionnelle saison du Théâtre d’Aujourd’hui parle certes de cette tragédie, par la bande, mais s’intéresse surtout à la notion de responsabilité. Un sujet extrêmement délicat, surtout quand il traite d’un drame dont les blessures ne sont pas encore tout à fait cicatrisées. Pour appuyer son propos, la brillante Alexia Bürger – qui signe ici le texte et la mise en scène – a imaginé la rencontre de trois hommes, nommés Thomas Harding, qui ne se sont évidemment jamais rencontrés dans la «vraie vie».
Le premier, conducteur hanté de la locomotive meurtrière (exceptionnel Bruno Marcil), a eu la surprise de se réveiller en plein milieu de la nuit dans une ville en flammes. Le deuxième, un écrivain britannique (Patrice Dubois), souffre du deuil de son fils, décédé dans un accident de vélo. Le troisième, un agent d’assurances américain extrêmement compétent (Martin Drainville), est obsédé par sa forme physique déclinante.
Avec un traitement particulièrement sobre, où un dialogue respectueux s’établit entre ces inconnus, qui finiront par tisser des liens, les comédiens restent debout, se déplaçant légèrement lorsqu’ils prennent parole, chantant en chœur les train songs qui viennent ponctuer les changements de scènes.
Les explications de Martin Drainville sur la gestion du risque viennent éclairer à quel point le désir collectif de trouver un coupable à tout est vain et injustifié; l’arrestation subséquente de Thomas Harding à son domicile, en plus de constituer une inutile démonstration de force, était un coup de plus asséné sur un homme déjà par terre.
La symbiose entre les trois comédiens est étonnante, et alors qu’ils évoluent au milieu de cette exceptionnelle scénographie – des panneaux de métal sont disposés de façon à évoquer un cockpit en pleine désintégration, une vision à couper le souffle – on est frappés par l’immense poids que transporte Harding, le conducteur de train. Et tout chez Bruno Marcil nous transmet cet affreux sentiment d’être le bouc émissaire qu’on a longtemps pointé du doigt: la lassitude de sa posture, son visage décomposé et sa voix fatiguée, qui nous hantera longtemps, alors qu’il énumère les quarante-sept prénoms des victimes.
Un moment fort d’une pièce pleine de moments remarquables, qui déchaîne notre empathie non seulement pour les victimes, mais aussi pour cet homme qui devra passer le reste de ses jours à être ponctuellement visité par leur souvenir.
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Par Valérie Remise
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