ThéâtreCritiques de théâtre
Le Théâtre du Nouveau Monde célèbre cette année son soixantième anniversaire et pour souligner l’occasion la directrice artistique Lorraine Pintal a demandé à Dominic Champagne de monter la pièce Ha ha!… de Réjean Ducharme, l’enfant terrible de la dramaturgie québécoise.
Au départ, le metteur en scène Dominic Champagne a gentiment décliné l’offre de Lorraine Pintal. «La pièce est trop dépressive et je voulais parler d’un Québec optimiste», a-t-il affirmé lors d’une récente entrevue avec le journal Voir. Son manque d’assurance face à cette tragédie contemporaine s’est rapidement éclipsé lorsqu’il a pris connaissance de la solide distribution qui allait donner vie aux personnages de Ducharme: François Papineau (Roger), Marc Béland (Bernard), Sophie Cadieux (Mimi) et Anne-Marie Cadieux (Sophie).
Une vie, une tragédie
Considérée comme étant l’une des pièces-chocs les plus intenses et violentes de Ducharme, Ha ha!…, avec son côté tragique, burlesque et pessimiste, devait absolument trouver chaussure à son pied hier soir. Malheureusement, une dizaine de personnes en ont profité pour sortir de la salle à l’entracte, amèrement déçues par la tournure des évènements.
Cependant, Dominic Champagne n’y est pour rien. Le metteur en scène de Don Quichotte et de L’Odyssée a réussi à diriger avec brio un solide quatuor jusqu’à l’exubérance la plus totale; ce n’est pas non plus la faute aux costumes ou au décor, qui ressemblait à un appartement abandonné à l’intérieur duquel traînaient ça et là de vieux journaux empilés, un divan en cuir ainsi qu’un La-Z-Boy ayant connu des jours meilleurs; ni celle des comédiens, qui ont tous livré, surtout Anne-Marie Cadieux et François Papineau, une très bonne performance. C’est probablement la faute au texte de Ducharme, qui n’a pas su vieillir aussi bien que ses ‘autres oeuvres telles que L’hiver de force et L’avalée des avalés.
Ha ha!…, c’est une tragédie québécoise pure laine, c’est la représentation de la déchéance humaine, un huis clos situé à des millénaires de celui de l’existentialiste Jean-Paul Sartre. Les personnages-couples, Roger et Sophie, Bernard et Mimi, ne se retrouvent pas au même endroit par hasard. Ils ont eux-mêmes choisi de vivre dans cette vie sale et ordinaire pour l’unique plaisir d’être là, à attendre que quelque chose de mieux se passe. Ha ha!…, c’est un théâtre de la cruauté, un jeu cruel et pathétique, gorgé d’humour, de tragique, mais d’une lourdeur insupportable, qui ne fait pas le poids devant une pièce comme En attendant Godot de Samuel Beckett. L’attente, chez Ducharme, est lourdement pathétique, et malgré l’aspect parfois humoristique du texte, cela n’a pas suffi à garder, malheureusement, l’attention du spectateur jusqu’à la toute fin.
Si l’adaptation moderne de Dominic Champagne n’a pas du tout impressionné le public hier soir, qui s’est certes permis quelques rires de temps à autre, il va sans dire qu’une grande majorité d’entre eux ont dû regretter la solide création signée Jean-Pierre Ronfard, en 1978.
Appréciation: **
Crédit photo: Jean-François Gratton
Écrit par: Éric Dumais