«Guerre» de Lars Norén: au pied du Théâtre Prospero on parle encore du chaos – Bible urbaine

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«Guerre» de Lars Norén: au pied du Théâtre Prospero on parle encore du chaos

«Guerre» de Lars Norén: au pied du Théâtre Prospero on parle encore du chaos

Publié le 14 octobre 2012 par Justine Boutin-Bettez

La très intime salle du Théâtre Prospero accueillait vendredi la compagnie de l’Embrasure pour sa première création, intitulée Guerre. Cette pièce, écrite par Lars Norén en 2003, imprègne et divulgue un triptyque de retrouvailles impossibles et abstruses d’un clan auparavant soudé.

Cette réalisation théâtrale d’une durée d’une heure et vingt minutes met en scène un père survivant de la guerre ayant perdu la vision durant un camp d’hostilité. Dès lors, il revient parmi les siens, mais plus rien n’est pareil; son lien de sang, son lien de terre, tout lui semble étranger. Sa femme et ses filles, muettes et croulantes devant l’inattendu, sont là, impuissantes et vétustes de son retour. Un tableau froid et amer couronnant les interprètes de la réalité à un univers dépareillé.

Lars Norén, connu comme étant l’héritier de Tchekhov, Strinberg et Ibsen nous divulgue les angoisses d’un conflit dans l’après-guerre. Cette guerre qui les a aveuglés, mortifiés et obscurcis, puis plongés dans un traumatisme subjectif. Une guerre, pour espérer quelle rançon?

Les comédiens, Jean Belzil-Gascon, ?Isabelle Montpetit, Catherine Rochefort,? Marie-Josée Samson ?et Manuel Sinor ont privilégié leur jeu sur ce que l’homme a fait sur cette terre, c’est-à-dire sa véritable place, son authentique richesse. La justesse de leur jeu, cette horreur qui a noirci leur quotidien, a rendu magnanimes et touchants les protagonistes devant nous. La rotondité face à l’instinct de survie est venue fonder et soutenir l’intrigue principale. Le père aveugle. Une peur aveugle. Une violence criant du fond de l’effroi, le mal.  Le mal senti au pied de la salle, une glace dépecée et morcelée. Ils sont en guerre.

Malgré la mise en scène peu élaborée et méditée, ce projet laissait pleine place à l’expérimentalisme ainsi qu’au symbolisme. Le symbole du corps de l’acteur dans un territoire qu’il doit habiter de toute l’étendue de son sang. Priscille Amsler fait porte franche entre guerre (le mot) et guerre (les acteurs). Effectivement, les interactions (les gestuelles) et les déplacements prononcés nous assaillaient d’émotions et de pulsions entre la vie et la mort, le tout partagé dans un même corps. Avec cette contigüité, notre espace vital vibrait au même rythme que cette dynastie; l’ensemble était organique.

Sans compter que les femmes deviennent belligérantes à leurs tours. La guerre les a touchées de près, de loin, à l’intérieur et à l’extérieur. Viols par-dessus viols, elles se retrouvent au milieu de la guerre, nues devant cette dureté, froides devant une roche armée, combattantes face aux camps ennemis. Elles deviennent l’agonie devant ce sacrilège crapuleux. Elles s’étendent, se dispersent, se noient dans cette flotte conformément anéantie. Elles ne se reconnaissent plus entre elles. C’est pour ainsi dire l’absurdité de deux mondes qui ne s’accorderont plus jamais. En définitive, Guerre nous dresse une image commémorative des plus importantes violations formelles des droits de la personne que l’histoire de l’humanité ait connue.

Grâce aux lumières stroboscopiques émises lors des altérations scéniques, le public pouvait réellement ressentir la déchirure humaine et la  voix désassemblée qu’avait causer ce deuxième chaos mondial. Ébarber, couper, rompre une famille, en cinq. Il n’y avait plus de solution à cette débauche, hormis cette échappatoire qui nous force à croire que peut-être, ailleurs sur cette terre, il y aurait le fruit d’une quelconque délivrance.

Au final, l’acuité et la finesse des interprètes ont permis la parfaite maintenance du côté original et équilibré de la pièce Guerre. Un certain retour sur des thématiques telles que les relations humaines, l’impétuosité bestiale de l’homme envers l’homme et les perversions sexuelles nous ont confrontés à notre réalité actuelle.

Des idées développées à partir de problème psychosocial et psychiatrique. Fébrilement bien incrusté dans la pièce Guerre, qui est présentée jusqu’au 27 octobre 2012, dans la salle intime du Théâtre Prospero.

Appréciation: ***

Crédit photo: Aurore Paulin

Écrit par: Justine Boutin-Bettez

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