ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Laurence Hervieux-Gosselin
On se retrouve tout d’abord dans les bureaux d’un promoteur immobilier, alors que Shelly (Micheline Lanctôt) tente d’obtenir des faveurs de sa répartitrice (Marilyn Castonguay) en se faisant offrir des prospects prometteurs, qui sont habituellement réservés aux meilleures vendeuses, un palmarès sur lequel elle a jadis régné, mais dont elle ne fait désormais plus partie. À la fois cajoleuse et menaçante, son désespoir est mordant.
Ailleurs, dans un 5 à 7, deux autres agentes immobilières de la même firme discutent de la possibilité d’un cambriolage pour voler la liste de clients de leur employeur.
Bienvenue dans le monde de la vente sauvage et du capitalisme indécent, là où la morale et l’éthique sont sujettes à interprétation. La manipulation psychologique est la spécialité de ces dames, car oui, la version que nous présente Brigitte Poupart, dans une traduction d’Enrica Boucher, offre une interprétation 100% féminine.
Le drame intimiste nous révèle d’immenses égos en pleine collision, des individus prêts à tout pour gagner la Cadillac réservée à la meilleure vendeuse, quitte à intimider leurs collègues ou à ruiner leurs clients. C’est une production très réussie, mais les voix amplifiées des actrices et l’immensité de la salle contredisent un peu le cadre idéalement immédiat dans lequel cette pièce devrait se déguster – on a parfois du mal, selon notre place, à bien saisir le jeu parfois très physique et les expressions faciales.
La scénographie, très froide, quasi industrielle, établit parfaitement l’ambiance un peu étouffante dans laquelle nous précipitent les évènements, et on a droit à un retournement de situation assez inattendu – de notre côté, certes, car nos souvenirs du film visionné à peu près à sa sortie étaient fort vagues.
Les actrices réunies sur scènes font toutes un travail admirable, et on salue particulièrement Isabelle Miquelon, qui maîtrise parfaitement son personnage sans filtre et gueulard; Marilyn Castonguay, sable mouvant qui se fait abuser verbalement mais qui ne perd jamais son sang-froid, et surtout qui n’oublie pas sa rancœur; Guillermina Kerwin, dont les monologues décousus et délirants sont un fait saillant; et, bien sûr, Micheline Lanctôt, excellente en vendeuse au bout du rouleau, qui se roule dans sa gloire d’antan et l’étale autour d’elle.
Avec la répétition quasi hypnotique du mot «prospects» du début à la fin, il est difficile de perdre de vue les enjeux en cours, enjeux qui sont, selon Poupart, un miroir qui reflète la nécessiter de vendre son produit, qu’il soit immobilier ou culturel. Une métaphore presque prophétique dans un univers où la nécessité du profit éclipse parfois la mission artistique.
Un parallèle heureux pour un récit chirurgical et décalé, qui nous coupe l’air comme un coup de poing au plexus.
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Par Laurence Hervieux-Gosselin
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