ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Caroline Laberge
Sont-ce des facettes de la personnalité de l’auteure? Des personnages des trois romans qui sont ici remaniés en un tout homogène et sulfureux, et qui viennent la hanter? Peu importe, car c’est à une rencontre très intense avec Nelly et ses mots, ses mots précis et rythmés, à laquelle le spectateur est convié.
La scénographie est honnêtement l’une des plus impressionnantes que nous ayons vue de récente mémoire. Deux rangées de cubes vitrés sont superposées sur la scène, et des petites pièces s’y trouvent. Les actrices ont chacune leur «chambre», aménagée de façon très différente l’une de l’autre, mais toujours percutante, et une danseuse va et vient de l’une à l’autre, s’aventurant parfois en dehors du «complexe» pour venir frôler les spectateurs installés au premier rang.
Les actrices se dévouent entièrement à leur rôle, en devenant presque méconnaissables. Il faut voir Sophie Cadieux, à fleur de peau et verbomotrice, arpenter nerveusement son cube pour ouvrir le bal. Julie Le Breton, écorchée vive dans une toilette publique; Christine Beaulieu, princière et participant volontairement à des jeux dignes de 50 Shades of Grey les yeux bandés; Evelyne de la Chenelière, plus grande que nature, partageant certaines caractéristiques avec un héron aux plumes noires; Larissa Corriveau, sensuelle et éternelle prisonnière d’une scène de bar de danseuse; et finalement Johanne Haberlin, qui se trémousse dans son lit.
On savait Nelly Arcan hantée par une constante préoccupation du physique parfait, étant elle-même passée sous le bistouri à quelques reprises; c’est d’ailleurs l’une des thématiques principales des longs monologues, avec sa jeunesse un peu atypique, et son obsession pour le cosmos. Les extraits de trois romans (Putain, Folle et Burqa de chair) sont minutieusement choisis, et plusieurs de ces phrases-chocs rendraient jaloux n’importe quel auteur.
Il est d’ailleurs difficile de concevoir, avec le recul, à quel point les prophéties suicidaires d’Arcan ont été prises à la légère. Le collage des citations rend le tout particulièrement flagrant. C’était indubitablement une thématique récurrente dans la deuxième phase de son œuvre, une hyperlucidité qui l’empêchait de profiter de sa notoriété, qui la conduisait à tout suranalyser et à développer une constante conscience de son image projetée.
Marie Brassard a donné naissance à une œuvre puissante et incontournable, qui survivra indubitablement à l’épreuve du temps, et qui a sûrement partiellement inspiré le film d’Anne Émond, sorti en 2016.
Une pièce à la hauteur du «mythe» Nelly, dont les mots continuent à nous hanter au-delà de sa mort. Elle l’a elle-même écrit dans Folle (2005): «Si on en veut aux gens qui se suicident, c’est parce qu’ils ont toujours le dernier mot».
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Par Caroline Laberge
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