ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Daphné Caron
La particularité du Théâtre français du CNA est que sa programmation est dirigée par Brigitte Haentjens, et que ses choix sont – il faut s’y attendre, forcément – fort judicieux. Fendre les lacs, donc, est un drame de campagne qui se déroule autour d’un lac, entité omnisciente aux eaux qu’on pourrait croire croupies, et dont l’action se joue entre les membres d’une communauté riveraine de personnages plus grands que nature.
Un homme est retrouvé mort dans la forêt, face contre terre. Il laisse dans le deuil sa femme dépressive et ses deux fils. Une ellipse temporelle plus tard, on retrouve la petite communauté au sein d’un chaos fonctionnel; l’un tente d’élever des loups, l’une des oies, un autre passe toutes ses nuits chez un vieil homosexuel mourant au grand désespoir de son amoureuse.
Chaque personnage lutte avec ses propres démons, et la proximité d’une nature partiellement inhospitalière, avec une humidité pénétrante qui s’infiltre partout, les rapproche de leur animalité.
L’élément le plus saisissant de l’exceptionnelle scénographie de Marie-Renée Bourget Harvey est sans doute l’immense bassin d’eau faisant office de lac, et dans lequel les personnages évoluent. D’abord pourvus de grosses bottes imperméables, ils finiront tous par se mouiller, à différents degrés, tous affectés de manière différente lorsqu’Élie, une jeune femme qui a passé sa vie parmi eux, manifestera son intention de partir travailler sur un bateau, loin de la grisaille brumeuse de son lieu de naissance.
À travers sa langue poétique et vigoureuse, Steve Gagnon nous propose constamment, avec une œuvre souvent incandescente et toujours intense, de devenir de meilleurs humains. Il utilise ici le prisme de l’amour pour y arriver, sans cynisme, de manière brute et honnête. Ses personnages ont des défauts «fantôme», qui ne le sont qu’en apparence, ou qui s ‘avèrent finalement devenir des qualités après une explication passionnée.
Cet univers n’est pas dépourvu de sentimentalité, et l’utilisation de chansons mélancoliques – notamment de Radiohead – vient parfois appuyer un peu fort sur la palette d’émotions. Mais c’est ce que nous attendons d’un texte de Steve Gagnon; qu’il nous remue les tripes et nous encourage à toujours mieux traiter notre prochain. En ce sens, l’acteur et dramaturge est le meilleur «coach de vie» qu’on puisse espérer.
On se prend à rêver, pendant la représentation, d’une adaptation cinématographique de l’œuvre, où les projecteurs et le public disparaîtraient pour nous immerger entièrement dans l’eau du lac, au plus près des bêtes et des morts.
«Fendre les lacs» en photos
Par Daphné Caron
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