Fabien Dupuis sur la scène du Théâtre d’Aujourd’hui: hanté par le fantôme d’«Isabelle» – Bible urbaine

ThéâtreCritiques de théâtre

Fabien Dupuis sur la scène du Théâtre d’Aujourd’hui: hanté par le fantôme d’«Isabelle»

Fabien Dupuis sur la scène du Théâtre d’Aujourd’hui: hanté par le fantôme d’«Isabelle»

Publié le 19 octobre 2012 par Alice Côté Dupuis

Le comédien et maintenant auteur Fabien Dupuis s’est risqué à sortir de ses tiroirs de vieux bouts de textes écrits lors des vingt dernières années pour créer «Isabelle». Anecdotes vécues ou lubies d’un artiste créatif? On ne le saura jamais, même si on a l’impression d’entrer dans la vie privée du comédien et d’assister au récit joué de son autobiographie.

C’est plongé dans une obscurité totale que le spectateur plonge dans la vie de Fabien Dupuis, ou à tout le moins, celle de son personnage. Cris d’enfants qui se chamaillent en bruit d’ambiance de cette noirceur, c’est un comédien habillé en gilet tout droit sorti des années 90 et bien rentré dans les pantalons, avec en-dessous un col roulé blanc, qui nous apparaît dans la lumière avec un sourire niais. Impossible de dire si c’est le vrai Fabien Dupuis qui nous parle ou un personnage, mais la voix inégale nous fait parfois penser à une personne légèrement simple d’esprit, alors que d’autres passages semblent authentiques. Le vocabulaire, la façon de se tenir et les paroles de Dupuis accentuent parfois l’idée du personnage enfantin. «C’est poche se sentir poche en face de quelqu’un que tu trouves pas poche» n’est qu’un exemple d’expressions employées qui sont loin de l’adulte assumé. À plus de trente ans, encore puceau et vivant avec sa mère, la personne qui nous raconte son histoire sur la scène est un vieux garçon. Mais il est attendrissant.

Racontant son histoire, presque sa vie entière, dans ses détails les plus intimes, le personnage de Fabien Dupuis est carrément obsédé par sa cousine Isabelle. C’est en jouant avec elle à la lutte qu’il a découvert, à l’âge de huit ans, les réactions que son corps pouvait avoir en plaquant une fille au sol, par exemple. Réjouis de la proximité de leurs corps, les deux cousins décidèrent de jouer à la lutte le plus souvent possible, et partout, «surtout dans ma chambre». Quand la mère du personnage de Dupuis s’est rendue compte des rapprochements de son fils et de sa nièce, ils ont transformé leur tactique: ils ont commencé à jouer aux parents. Plus spécifiquement, aux parents qui se couchent. Jusqu’à temps qu’à l’âge de 10 ans, Isabelle se dévêtisse complètement en lui disant: «Je veux un autre enfant de toi». «J’savais même pas comment j’avais fait le premier!», s’est écrié un Fabien Dupuis comique et avec un habile sens du punch.

C’est à partir de là que Fabien Dupuis entreprend de raconter tous les pans de son évolution. Ses découvertes du corps féminin avec Isabelle, son amour pour son héros, Batman, sa relation amour-haine avec sa mère, son obsession pour les Whopper de chez Burger King et le Coke, ses secrets avec son père… toutes les étapes de sa vie sont couvertes.

Alternant entre le ton d’un conteur à son auditoire et des répliques mises en situation, jouant tous les personnages, car seul sur la scène, Fabien Dupuis prouve son habileté de conteur, mais rend son récit parfois confus en raison de son débit rapide. Qui a dit quelle réplique? Il nous parle à nous ou joue la situation? Pourtant, c’est également ce qui fait en sorte que certains passages sont comiques, d’où l’expression inventée pour décrire cette pièce: «stand-up tragique». 

C’est en effet une histoire parfois assez touchante que nous raconte Dupuis, mais plusieurs répliques font sourire. Comme au salon funéraire, là où il a été «touché en deux heures comme jamais avant dans ma vie» pour dire adieu à sa mère et où il attend, tout excité, de revoir Isabelle. Une Isabelle qu’il a imaginée si longtemps, dont il a gardé un souvenir si frais, si précieux. Une Isabelle qui le décevra profondément, surtout qu’elle sera accompagnée de son fils. Bref, bien qu’on saute de ses passe-temps à sa famille, à ses mauvais coups d’enfant, et à ses expériences qui l’amenaient toujours à l’hôpital, le fantôme d’Isabelle reste toujours présent dans la vie et dans l’esprit du pauvre Fabien Dupuis.

Dans une mise en scène de Marc Béland, «Isabelle» est une pièce réussie dans son ensemble. Avec un texte original et comique, un performeur habile, sans être saisissant (le moment d’interprétation le plus réussi – captivant, celui-là – est lorsqu’il joue sa mère qui se fâche contre la docteure), et une conception d’éclairages intéressante, elle fait sourire et est un divertissement sympa. Sans être un chef-d’œuvre, on a quand même envie de dire à l’interprète de Chicoine dans Watatatow de continuer d’écrire, car il y a assurément du bon dans ce stand-up, présenté au Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 3 novembre 2012, avant de partir en tournée dans la province jusqu’au printemps prochain.

Appréciation: ***

Crédit photo: Cédric Lord

Écrit par: Alice Côté Dupuis

Vos commentaires

Revenir au début