ThéâtreEntrevues
Crédit photo : Maude Chauvin
«Je ne suis pas sûr qu’on puisse appeler Tartuffe une comédie classique. Je pense qu’il y a beaucoup de couches; c’est plus que cela: c’est une comédie de mœurs, voire un drame de mœurs», commente d’entrée de jeu Emmanuel Schwartz, rencontré au Café du Nouveau Monde après les répétitions. Ce comédien, auteur et metteur en scène de 34 ans, qui foulera à nouveau les planches du TNM après avoir joué le Lucky d’En attendant Godot, a vite été séduit par l’idée d’enfiler pour la toute première fois les habits de Tartuffe. «C’est un rôle d’envergure, une belle complexité à laquelle s’attaquer en tant qu’interprète. Le metteur en scène Denis Marleau, accompagné de Stéphanie Jasmin, m’a rafraîchi et surtout ouvert les œillères au sujet du personnage».
Le Tartuffe tel qu’imaginé par Molière est plutôt difficile à cerner, comme ce Prince Mychkine de Dostoïevski, car aucun indice ne porte à croire qu’il est bel et bien ce fameux «imposteur». «La pièce ne nous donne pas toutes les réponses. Je trouve ça particulièrement intéressant, cette nuance-là, qui fait que Tartuffe peut se placer d’un côté comme de l’autre; vers le machiavélisme comme l’hypersensibilité. Oui, c’est un être qui use de faux-fuyants et de subterfuges. Mais ce n’est assurément pas un mécréant; c’est un être magnétique, charismatique, candide, perdu, comme en mode survie. Je lui donne le bénéfice du doute, et ça m’aide à l’interpréter», complète Schwartz, lequel voit en cette adaptation un réel défi et une belle façon de revisiter, avec les vers du dramaturge en bouche, un pan de notre Histoire.
Emmanuel Schwartz soutient d’ailleurs que les coïncidences sont extraordinaires autour de «L’affaire Tartuffe», puisqu’à l’époque la pièce fut interdite pour cause d’impiété envers l’Église, et ce, malgré l’enthousiasme de Louis XIV. Et Denis Marleau, quant à lui, a décidé de planter le décor en 1969, dans un Québec chamboulé par une décennie de Révolution tranquille. «À la fin des années 60, au Québec, dans un contexte de post-Révolution tranquille et pré-Woodstock, un gap générationnel se fait sentir dans une maison bourgeoise parce que le père s’est fait endoctriner par un recteur de conscience. Il s’avère que ce dernier n’est pas exactement ce qu’il dit être. Il sera, au fil de la pièce, démasqué et, au péril des personnages de cette famille, arrêté et condamné», nous résume l’acteur, piquant plus que jamais notre curiosité avec cette adaptation «à la sauce québécoise».
Et avec l’auteur-compositeur-interprète et bricoleur de bonheur Jérôme Minière à la direction musicale, il y a fort à parier qu’on nous réserve de belles surprises tout au long de la pièce, qui promet un 2 heures et 45 minutes de grand théâtre avec un entracte. Au niveau de la scénographie, des costumes concoctés par Michèle Hamel, ainsi que la façon dont la musique sera exploitée tout au long du spectacle demeure bien sûr motus et bouche cousue. Par contre, attendez-vous à plonger dans un Québec campé à la fin des années 60, à l’époque des succès «La messe à gogo» et «White Rabbit». L’adaptation fraîche du Tartuffe telle qu’imaginé par Marleau permettra aux jeunes adultes de redécouvrir l’un des grands classiques de la comédie française, mais aussi l’éveil de souvenirs chez les baby-boomers.
Sur scène, aux côtés d’Emmanuel Schwartz, on retrouve une distribution d’exception, avec notamment Benoît Brière dans les habits d’Orgon, ce grand naïf et entêté; Anne-Marie Cadieux dans ceux d’Elmire, «la grande intrigante de la pièce, celle qui dirige le subterfuge, qui use de ses charmes et de son intelligence» jusqu’à plus soif; Carl Béchard, dans le rôle de Cléandre, «le contre-point du recteur de conscience qu’est Tartuffe: un intellectuel engagé, un marxiste-léniniste des années 60, un esprit de gauche qui perçoit l’abus de l’Église» et, bien sûr, plusieurs autres personnages colorés qui complètent la distribution. Réussirez-vous à démasquer qui est le vrai imposteur dans cette histoire? Schwartz vous met au défi!
«Mon année est pas mal pleine jusqu’à la mi-2018!», nous a-t-il confié en fin de discussion, lui qui sera fort occupé pour les prochains mois au théâtre comme au cinéma. «Cet automne, je tourne dans deux films de nature opposée en même temps que je vais jouer Tartuffe sur la scène du TNM. D’abord, Hochelaga de François Girard, où je fais un coureur des bois, puis Dérive de David Uloth, où je joue un comédien qui se laisse séduire par une jeune fille. Un beau rôle tout en subtilité!», complète-t-il. Et nous, on tarde de le (re)voir sur scène, lui qui agit tel un vent de fraîcheur dans notre paysage artistique, avec cette polyvalence, ce charisme et cette facilité qu’il a à nous transporter.