Entrevue avec Marc Beaupré, metteur en scène de la pièce «Ce samedi il pleuvait» – Bible urbaine

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Entrevue avec Marc Beaupré, metteur en scène de la pièce «Ce samedi il pleuvait»

Entrevue avec Marc Beaupré, metteur en scène de la pièce «Ce samedi il pleuvait»

Présentée Aux Écuries du 9 au 27 avril 2013

Publié le 10 avril 2013 par Alice Côté Dupuis

Crédit photo : Yan Turcotte

La pièce de théâtre Ce samedi il pleuvait est présentée sur les planches du Théâtre Aux Écuries depuis mardi le 9 avril dernier. En choisissant Maxime David, Sébastien David, Alexandre Fortin et Marie-Ève Milot pour porter les mots d’Annick Lefebvre au théâtre, le metteur en scène Marc Beaupré s’est amusé à briser les conventions. 

Une typique famille de banlieue montréalaise – un père, une mère, des jumeaux et un chien – vit dans un bungalow avec une piscine dans la cour, mais personne n’y est heureux. Ce père qui aime plus le chien que sa femme, cette mère dépressive, sans oublier les jumeaux aux voix en parfait synchronisme, toutes ces personnes vont effectuer chacun leur tour «une critique bien en règle» de la famille, le tout dans une mise en scène très théâtrale, mais aussi très moderne, presque en chœur. «La famille veut paraître unie, explique Marc Beaupré, mais c’est très irréaliste, tout comme les jumeaux qui n’arrêtent pas de dire qu’ils veulent s’affranchir, mais ils le disent ensemble».

«Le père trouve que la famille n’est pas assez unie, il trouve que ses enfants sont des anarchistes et que sa femme est blasée et névrosée. La femme, elle, voudrait donc avoir une partie de jambes en l’air avec son mari, qui est trop occupé avec son chien, et elle voudrait que les jumeaux soient moins sages.» Ces réflexions et sentiments des personnages, Marc Beaupré explique qu’ils seront davantage dits que joués, du moins dans les premiers deux tiers du spectacle. «C’est comme si on avait le subconscient de chaque personnage qui s’adressait à nous. Ça peut devenir très vulgaire, mais c’est surtout très franc et très critique, très en réaction face à la famille traditionnelle québécoise». Le spectacle se veut donc une véritable critique sociale de la famille banlieusarde? Le metteur en scène acquiesce, même inquiet de ce que ses parents pourraient en penser: «on s’attaque constamment à la famille pendant la première partie, mais c’est aussi très humoristique. Les gens s’amusent beaucoup, la première partie présente un flot verbal, avec des phrases à n’en plus finir».

Marc Beaupré aura lui aussi eu une véritable partie de plaisir à monter cette pièce d’Annick Lefebvre, qui l’a d’ailleurs choisi parce qu’elle le considérait comme quelqu’un qui ne se contenterait pas de représenter les choses de façon banale. Si l’auteure n’acceptait pas l’idée de Beaupré, il refusait de signer la mise en scène. C’est que «ça devient encore plus parodique avec la mise en scène que j’ai fait, car moi j’ai volontairement fait un casting qui n’a pas d’allure. Les deux enfants sont plus grands que les deux parents, et les parents sont habillés plus jeune que les enfants. C’est complètement inadéquat, mais pour moi, c’était intéressant pour ce que ça amenait comme dimension clownesque», explique celui-là même qui a joué le presque-clown Petru dans la comédie italienne Bar de Spiro Scimone il y a quelques mois. «Pour moi, toute cette inadéquation-là prend son sens dans la deuxième partie, quand les parents nous parlent de leur enfance. C’est comme si j’avais décidé d’enfermer chacun des quatre personnages dans un instant précis, et les parents, c’est leur enfance. J’ai décidé d’arrêter la scénographie là pour eux autres, ils sont pris dans ces souvenirs-là. Et tant qu’on n’y est pas arrivé, ça a l’air d’un petit gars qui joue au monsieur, et d’une petite fille qui joue à la madame.»

Le spectateur comprendra donc entièrement l’histoire complexe de cette «famille banale, mais dont le regard que chacun porte sur sa famille l’est moins», et qui a une grande volonté de changer. Ce samedi où tout se passe, finalement, les enfants comprendront pourquoi les parents ont de la difficulté à s’aimer, mais le metteur en scène, lui, a de la difficulté à expliquer le titre de la pièce, Ce samedi il pleuvait. «C’est un choix de l’auteure délibéré de communiquer l’immobilisme des membres de cette famille-là. C’est un peu un pied de nez, un peu du cynisme de la part de l’auteure, parce qu’en fait, il s’en passe des affaires ce samedi-là». Mais Annick Lefebvre a une façon bien à elle d’exprimer les choses, elle ne se limite pas à la base, et elle ne se contente pas non plus de montrer pourquoi la famille, c’est nul. «C’est la raison pour laquelle j’ai voulu la monter [la pièce]. Annick pose des situations où on n’est pas dans du noir ni du blanc, on est dans du gris. L’humanité en soi est boiteuse, mais c’est ce qui fait son charme aussi. Pour moi, c’est là que le spectacle prend tout son sens. Si on ne parvient pas à ça, c’est inutile, car c’est comme si on se contentait de dire que la famille québécoise c’est de la merde, propos qu’on entend à tort et à travers. On ne veut pas juste dire que la société est laide, car on l’aime aussi».

Mais il faut dire que pour celui qui avait mis en scène Caligula Remix et Dom Juan Uncensored, où différentes technologies et le réseau social Twitter étaient notamment utilisés dans le spectacle, effectuer une mise en scène qui ne comporte comme seul élément spécial qu’un casting anormal est plutôt surprenant. «Moderne n’égale pas automatiquement technique. C’est un casting qui n’a juste pas de sens, ça prend déjà une certaine audace. Et c’est une grande source d’angoisse aussi, parce que je veux quand même que les gens y croient. Mais personne n’est à sa place, personne n’est à la bonne place. Et ça va aussi loin que dans les accessoires: les couteaux ne seront pas des couteaux, ils seront des fourchettes! Tout ce qu’on nous donne à voir sur scène ne va pas dans le sens indiqué par le texte. Pour moi, ce serait une erreur de reproduire sur scène ce qui est dit dans le texte.» Marc Beaupré s’est donc complètement approprié l’œuvre d’Annick Lefebvre, même s’il précise qu’il n’en a changé aucune virgule, «sauf un mot, qu’on a ajouté, mais il clash avec le reste».

«J’ai fait ici un travail de mise en scène qui suppose que le spectateur ne connaît pas la pièce. J’aborde donc un univers avec lui, dont ni lui ni moi n’avons les clés à la base. Je dois introduire un univers», mais c’est aussi une raison valable pour jouer avec les référents que les gens ont d’une famille. «Je voulais vraiment jouer avec l’écart de grandeur, qui représente la différence de maturité entre les parents et les enfants, mais Marie-Ève Milot mesure à peu près 5 pieds, et j’avais pensé pendant un moment faire faire les jumeaux par mon frère et moi, mais on mesure 5 pieds 5, et l’écart de grandeur n’était pas assez grand. Tandis que les David mesurent plus de 6 pieds.» Marc Beaupré étant lui-même jumeau identique, serait-ce la raison pour laquelle il a accepté de mettre en scène cette histoire qui contient deux jumeaux? «Un peu… le discours que les jumeaux ont tout le long, moi, je le comprends. C’est comme si tout d’un coup, quand t’es dans le même espace public que ton frère, tu deviens comme une bête de cirque, parce que les gens, ça les fascine, ils deviennent curieux. Je comprends les jumeaux qui veulent se dissocier, parce que c’est comme si tout d’un coup on devient interchangeables, notre identité est noyée».

La pièce qu’il a mise en scène de façon originale et déroutante ne sera sans doute pas noyée, elle, dans le flot d’œuvres théâtrales produites à Montréal, et saura aisément se démarquer, comme son metteur en scène a su le faire depuis ses débuts remarqués dans la série 2 frères.

Ce samedi il pleuvait est présentée du 9 au 27 avril 2013 au Théâtre Aux Écuries. La pièce d’Annick Lefebvre met en scène Maxime et Sébastien David, Alexandre Fortin et Marie-Ève Milot, et est mise en scène par Marc Beaupré.

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