«En attendant Godot» à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier – Bible urbaine

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«En attendant Godot» à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier

«En attendant Godot» à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier

On attend, et ça ne vient pas

Publié le 23 octobre 2014 par Alice Côté Dupuis

Crédit photo : Alexandre Trudeau (Penguin)

Ce n’est pas une mince affaire de monter En attendant Godot, l’une des pièces de théâtre les plus connues du répertoire contemporain, mais aussi et sans doute l’une des plus adaptées. Pour leur propre proposition, Serge Mandeville et Absolu Théâtre ont fait appel à des comédiens de grand talent, qui livrent le texte de Samuel Beckett avec une belle aisance, à l'aide d'un décor minimaliste, afin de laisser les mots parler d’eux-mêmes. Sans tomber dans le «trop absurde» ni s’embourber dans une lecture trop dramatique et désespérante de ce duo qui n’a rien à faire d’autre que d’attendre que les jours passent, cette production présentée à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier trouve son équilibre. Comme sur le plateau où se trouvent les personnages: ça ne descend pas, mais ça ne monte pas.

Tout était réuni, pourtant, pour que Vladimir (Pierre Limoges, parfait pour l’emploi!) et Estragon (Louis-Olivier Mauffette, solide et attachant), à défaut de trouver Godot – ce personnage jamais présent et que la paire doit supposément attendre près d’un arbre sans trop savoir pourquoi – ne trouve au moins la sympathie du public. La distribution est bien choisie, étant à la fois talentueuse, habituée à la scène et collant très bien aux personnages; la scène est bien utilisée, malgré qu’il y ait relativement peu d’action; les éclairages, même en étant simples, démontrent bien le temps qui passe, en représentant tantôt la lune, tantôt le soleil… que peut-il bien manquer?

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Mis à part Godot, il va sans dire, la pièce présentée par Absolu Théâtre manque de substance. Pas dans le texte de Beckett, mais bien sur scène. Le choix de proposer un décor minimaliste se comprend, et l’idée ne déplaît pas. D’ailleurs, le concept de l’arbre – unique élément de décor – à l’envers, pendu dans les airs, est à la fois représentatif de l’absurdité de la pièce, mais aussi très pratique, étant présent sans être encombrant, en plus d’offrir de beaux moments de mise en scène avec les personnages. Toutefois, l’arrière-scène à découvert, avec ses grosses briques noires à la vue, plutôt que d’avoir cherché à montrer un décor de campagne ou de route tel que suggéré par Beckett, laisse le sentiment d’assister plutôt à une générale de troupe de théâtre scolaire dans un local d’art dramatique qu’à une compagnie professionnelle dans l’un des théâtres les plus réputés de la ville.

Qu’à cela ne tienne, l’effet voulu est tout de même réussi: il faut se concentrer sur le texte – et sur son interprétation par les comédiens – pour apprécier la production. La complicité entre Limoges et Mauffette est belle à voir, et si elle tarde à se placer correctement et à se vouloir sincère, c’est l’arrivée de Pozzo (François-Xavier Dufour, avec aplomb et toujours juste malgré la transformation de son personnage) qui changera tout à fait la dynamique et permettra à la complicité entre les deux de se révéler véritablement. Les scènes de dispute et de réconciliation pour passer le temps entre Vladimir et Estragon sont d’ailleurs nettement réussies.

Il faut aussi mentionner le jeune André-Luc Tessier en Lucky, pauvre esclave de Pozzo, qui, s’il était tout près d’en faire un peu trop au départ, avec ses halètements et ses mimiques d’épuisement, a absolument ébloui l’assistance avec son unique envolée, dynamique et hautement maîtrisée malgré les bégaiements requis et la confusion des propos, livrés malgré tout avec assurance.

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Il faut aussi saluer l’audace de Serge Mandeville d’avoir gardé et bien utilisé les nombreux silences présents dans le texte original. Brisant le rythme parfois effréné des répliques, les temps morts permettent de souffler, tout en démontrant tout l’ennui et l’attente désespérée des deux personnages. Comme leur efficacité a été prouvée à de nombreux endroits dans la pièce, on se demande alors pourquoi en deuxième partie ceux-ci ont, à un certain moment, été remplacés par un grand bruit strident et agressant, représentant les esprits de Vladimir et Estragon qui recommencent à s’activer, parce qu’ils ne trouvent plus assez de moyens pour les assommer avec des conversations ou actions futiles.

Le En attendant Godot de l’Absolu Théâtre tangue donc entre l’absurde et le comique, entre l’impressionnant et le simpliste, entre le dynamisme et les longueurs – avec une deuxième partie un peu moins captivante. Mais c’est avec sa profondeur qu’on saisit véritablement toute l’essence et les réflexions de cette pièce –, faisant en sorte que le spectateur en sort en ne sachant pas trop où pencher, entre l’appréciation ou la déception.

La pièce «En attendant Godot», mise en scène par Serge Mandeville, co-présentée par Absolu Théâtre et le Théâtre Denise-Pelletier, et mettant en vedette Pierre Limoges, Louis-Olivier Mauffette, François-Xavier Dufour, André-Luc Tessier et Catherine Leblond, est présentée du 22 octobre au 8 novembre à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier. Les billets sont en vente à la billetterie du théâtre ainsi qu’en ligne au www.denise-pelletier.qc.ca.

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