ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Yves Renaud
Des 300 pages de La détresse et l’enchantement, Marie-Thérèse Fortin et Olivier Kemeid en ont conservé le sixième pour en faire un montage d’une cinquantaine de pages. Si l’essentiel du texte provient de ce livre, les deux auteurs ont également puisé dans d’autres oeuvres de Gabrielle Roy: Ces enfants de ma vie, dans Le temps qu’il m’a manqué et dans La route d’Altamost.
Le fil conducteur de ce montage réside dans la relation de l’auteure avec sa mère Mélina, qui se situe entre fusion et déchirement. Car l’émancipation de Gabrielle Roy est indissociable de l’abandon de sa mère qu’elle n’aura jamais l’occasion de revoir, cette dernière étant décédée en l’absence de l’auteure à l’été 1943. L’héritage de son milieu familial modeste traverse d’ailleurs l’œuvre de Gabrielle Roy, qui passera sa vie à donner une voix aux «petites gens» de son entourage, mais également du quartier Saint-Henri à Montréal, qui deviendra pendant quelques années son port d’attache.
À travers le récit intimiste de sa posture de Canadienne française née au Manitoba de parents d’origine québécoise, Gabrielle Roy réfléchit au fait francophone partout en Amérique du Nord. Se tracent en filigrane les difficultés de garder son identité, ainsi que de préserver son héritage familial et culturel dans une position sociale et linguistique minoritaire.
La détresse et l’enchantement raconte la résilience et la détermination de Gabrielle Roy à vivre une existence à la hauteur de ses aspirations de femme et d’auteure. Les premières minutes de la pièce illustrent d’ailleurs très bien cette prise de conscience chez la jeune femme de l’importance que revêtent pour elle les difficultés de la lutte incessante que doit mener sa mère pour faire vivre sa famille modeste et pour revendiquer son droit à vivre en français au quotidien. Femme moderne et féministe,
Gabrielle Roy passera sa vie à chercher à dépasser la misère dans laquelle sa famille a vécu par le dépassement de soi dans l’écriture.
Pour ancrer La détresse et l’enchantement sur scène, la scénographe Véronique Bertrand a reconstitué les paysages de Petite-Rivière-Saint-François, à Charlevoix, village où s’est installée Gabrielle Roy durant de nombreux étés de sa vie pour écrire. Ainsi, la scène est occupée par un relief montagneux traversé par un immense rail de chemin de fer, alors que le fleuve et la nature sont évoqués par les éclairages d’Étienne Boucher. Bien que née en plein cœur des Prairies, c’est au bord du fleuve que Gabrielle Roy trouvera la quiétude et l’inspiration pour s’épanouir comme auteure.
Mais le clou du spectacle réside sans aucun doute dans l’interprétation magistrale de Marie-Thérèse Fortin. Celle-ci déploie tous les talents d’actrice qu’on lui connaît. Outre sa ressemblance physique frappante avec Gabrielle Roy, elle possède la sensibilité nécessaire pour mettre en relief l’insécurité et l’assurance qui cohabitent chez l’auteure.
Mais c’est surtout la grande nostalgie qui traverse l’œuvre que Marie-Thérèse Fortin arrive à rendre avec le plus d’authenticité. La comédienne arrive à se fondre dans son personnage à un point tel que l’on se surprend par moment à imaginer Gabrielle Roy elle-même sur scène. Elle réussit également le tour de force d’évoquer quelques personnages secondaires par de simples changements d’intonation et par un habile travail de la gestuelle.
Notons que la mise en scène nuancée d’Olivier Kemeid contribue aussi à laisser toute la place aux mots de Gabrielle Roy et à l’intimité de la rencontre avec l’auteure. Cette sobriété rare sur l’immense scène du TNM n’en est que plus appréciable.
L'événement en photos
Par Yves Renaud
L'avis
de la rédaction