ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Yves Renaud
Waitress chez St-Martin BBQ, Louise Tétrault vient de remporter le trophée Lucille-Dumont grâce à son numéro chanté imité sur un numéro de cabaret effectué par sa sœur Rita «Lola Lee» Tétrault à Montréal. C’est l’élan qu’il lui fallait pour tout laisser derrière elle, s’en aller rejoindre sa sœur dans la métropole et tenter de vivre, comme elle, du chant. Ça ne fera pourtant pas le bonheur de la grande star des cabarets, celle-ci sentant sa carrière menacée par l’arrivée d’une plus jeune et plus belle qu’elle, d’autant plus qu’elle se vante de l’imiter!
La trame narrative de Demain matin, Montréal m’attend n’est pas démodée, si ce n’est que l’époque révolue des cabarets de la rue Sainte-Catherine. Le rêve, celui de devenir une vedette, de réaliser ses plus grandes aspirations en s’émancipant, en sortant de son village de campagne pour vivre dans une grande ville, existe en tellement de jeunes et moins jeunes encore de nos jours. Mais comme Lola Lee voudra le démontrer à sa cadette, et pour citer la majestueuse Betty Bird: «la gloire, c’est une côte qui se monte à pied, mais qui se redescend en bécyk».
C’est bien de ça qu’il s’agit: une fois arrivée à Montréal, Louise est traînée par sa sœur dans des endroits où elle a travaillé avant de se retrouver au sommet, afin de lui montrer le dur labeur qu’elle a dû traverser et qu’on ne devient pas Lola Lee du jour au lendemain. Cette visite des lieux nous permet de faire la rencontre de personnages exquis, dont le journaliste à potins Marcel-Gérard, éclatant Benoît McGinnis dans un habit très stylé, tout de jaune jusqu’aux cheveux «péroxydés». Un casting absolument parfait et un personnage aux répliques toujours excessivement drôles et bien placées. On oserait même dire que par moments, il a su voler la vedette.
La Duchesse, une drag queen sur le déclin interprétée par un Laurent Paquin complètement investi dans son personnage et très touchant tout en étant amusant et attachant, nous livre quant à elle l’un des plus beaux numéros avec «Les lamentations de la Duchesse», dans laquelle elle chante à quel point elle a été oubliée et que son temps est révolu. On applaudit l’abandon complet de l’humoriste-comédien, qui a réellement touché des cordes sensibles avec ce grand numéro pourtant en solo. On aurait toutefois presque aimé le voir plus longtemps en robe et en talons hauts avant qu’il ne retrouve ses habits masculins, lui qui s’est targué sur toutes les tribunes d’avoir travaillé sa féminité.
S’il faut aussi saluer l’excellent travail et l’aplomb d’Hélène Bourgeois-Leclerc, qui a autant ébloui qu’elle s’est montrée vulnérable, tout en étant parfois cruelle, on se doit aussi de souligner la présence imposante de Kathleen Fortin, régnant en souveraine sur son bordel, de même que l’attachante Marie-Andrée Lemieux, avec juste ce qu’il faut de candeur, mais aussi de détermination pour interpréter la jeune Louise Tétrault. Tout comme ce que son personnage espère, elle sait définitivement briller sur scène. Le chœur, composé notamment de Gabriel Lemire, de Geneviève Beaudet et de Guillaume Borys, fait lui aussi un travail incroyable, avec ses nombreux et rapides changements de costumes, et sa présence marquée et soutenue.
Si le jeu d’un peu tout le monde manquait parfois quelque peu de finesse et qu’on n’était jamais très loin de tomber dans la caricature, il faut dire que le côté kitsch des cabarets – des costumes colorés aux personnalités éclatantes des personnages – a été très assumé dans cette production de René Richard Cyr. On aurait toutefois désiré que cette flamboyance se manifeste davantage dans les décors qui, s’ils étaient polyvalents, manquaient d’audace. La scène parfois complètement nue, se remplissant scène après scène selon les besoins de l’action à venir, était bien triste à voir lorsqu’on la vidait, et donnait trop l’impression d’une succession de tableaux distincts, trop nettement séparés, donnant l’effet d’un manque de continuité entre eux.
Et si certains numéros furent beaucoup plus réussis et marquants que d’autres (on pense à la chanson-titre, bien sûr, mais aussi à «Le Brésil brille», en clôture), il serait faux de prétendre qu’aucun ne passe inaperçu, soit en raison d’une mélodie moins accrocheuse, soit par manque d’entrain après un autre numéro plus percutant. C’est le cas de la scène où Louise chante à son «Johnny du BBQ», toute seule et tout en douceur, tout juste après le dynamique «Tous les Johnny sont des écœurants» où la troupe au complet est réunie avec aplomb.
Quoi qu’il en soit, la distribution hors pair et très bien choisie, son adresse tant en chanson qu’en jeu théâtral, et finalement la décision de René Richard Cyr de ne pas avoir réinventé la recette font de cette nouvelle production de Demain matin, Montréal m’attend un événement fort comique et sympathique, mais qui manque de profondeur et de côté sombre pour bien susciter chez le public les réflexions souhaitées à l’origine de sa création. La soi-disant critique du show-business recherchée par Michel Tremblay ne nous apparaît pas évidente, ici, et tout comme la Louise Tétrault de Marie-Andrée Lemieux, on semble plutôt amusés que secoués par ce qui devrait nous terrifier.
La pièce de théâtre musical Demain matin, Montréal m’attend est présentée au Théâtre du Nouveau Monde en collaboration avec Spectra Musique, à l’occasion des Francofolies de Montréal. Elle ouvrira aussi la saison 2017-2018 du TNM dès le 19 septembre.
L'événement en photos
Par Yves Renaud
L'avis
de la rédaction