ThéâtreDans l'envers du décor
Crédit photo : Martin Poirier
1. Martin, on aimerait que tu nous racontes comment tu en es venu à faire de la conception d’éclairages pour le théâtre, toi qui as commencé ta carrière par la télévision?
«J’ai commencé ma carrière à la télévision seulement parce que c’est la première offre qui m’a été offerte quand j’ai terminé l’École de théâtre professionnel de Sainte-Thérèse. J’y ai beaucoup appris, j’ai pu expérimenter et mettre en pratique mes connaissances. De plus, comme cela me permettait de bien gagner ma vie, ça m’a permis d’accepter toutes les productions théâtrales dites autogérées qu’on m’offrait comme concepteur d’éclairages, et donc, de faire les deux en même temps. À cette époque, c’était pour moi le match parfait. Par la suite, j’ai dû faire des choix quand de plus gros projets m’ont été offerts au théâtre. J’ai préféré me concentrer sur le théâtre et j’ai arrêté la télévision.»
«Mon but ultime au départ était de rentrer à Concordia en cinéma pour devenir directeur photo, mais ce n’est jamais arrivé. J’ai été absorbé par le milieu du théâtre.»
2. En tant que concepteur d’éclairages, à quel moment est-ce que tu embarques dans le processus créatif et avec qui dois-tu travailler pour imaginer le concept d’éclairages?
«Chaque production est différente, et il y a plusieurs étapes. J’essaie d’arriver le plus tôt possible dans le processus. Dès le départ, mes deux interlocuteurs principaux sont le metteur en scène et le scénographe. Nous discutons du texte, de la facture visuelle que nous voulons, des impératifs de la salle, du budget, etc.»
«Ensuite, lorsque le processus est plus avancé, que j’ai bien compris la vision du metteur en scène et que la scénographie est arrêtée, je m’assois devant mon ordinateur et c’est seul, chez moi, que j’imagine la conception d’éclairages sur papier. Une fois en salle, c’est avec le metteur en scène et le reste de l’équipe que nous mettons en lumière la mise en scène, que nous construisons les images. C’est à la fois un métier solitaire, mais également de collaboration. J’aime beaucoup qu’il y ait ces deux aspects dans mon travail, ça me nourrit et ça m’inspire.»
3. Comment conçois-tu tes univers lumineux et par quoi te laisses-tu inspirer pour ton travail?
«J’essaie le plus possible d’être un «caméléon». J’aime entrer dans l’univers de l’auteur, mais aussi dans la tête du metteur en scène; embrasser sa vision du texte et de l’univers qu’il veut créer. C’est une contrainte qui m’inspire beaucoup. Je ne vois aucun intérêt à faire mon trip d’éclairage seul de mon côté. De façon plus pragmatique, je suis très inspiré par le travail que les directeurs photo font; c’est sûrement ma plus grande source d’inspiration, en fait.»
4. À quoi ressemble une journée typique pour toi en tant que concepteur d’éclairages? Fais-nous un petit récit des grandes lignes pour que l’on comprenne bien ton quotidien!
«Quand je ne suis pas en salle à travailler sur un spectacle, enfermé dans le noir de 9 h le matin à 23 h le soir, mes journées sont un mélange de répétitions, de réunions (beaucoup de réunions) et de plans à faire. Dans cet ordre, ou pas du tout.»
5. Quel a été ton plus grand défi à relever en carrière?
«Il y en a eu beaucoup. Mais je dirais le spectacle de 11 h Le sang des promesses avec Wajdi Mouawad à Avignon. Faire une conception d’éclairage au Palais des Papes était un rêve pour moi et ce fut une aventure que je n’oublierai jamais.»
«Aussi, évidemment, mon premier spectacle avec le Cirque du Soleil, Corteo, en 2005, avec le metteur en scène Daniele Finzi-Pasca. J’avais peu d’expérience en cirque à ce moment-là et c’était mon premier spectacle en chapiteau. Je ne vous raconte pas mon niveau de stress. Mais ce spectacle a changé ma carrière, complètement.»
6. Est-ce qu’il y a une ou quelques productions sur lesquelles tu as travaillé, dont tu es particulièrement fier, ou qui t’ont particulièrement marqué?
«Je suis particulièrement fier du travail accompli avec le metteur en scène Serge Denoncourt, avec qui j’ai fait trente-sept spectacles en vingt-quatre ans. Nous avons fait de bons coups et de moins bons coups, mais nous avons construit ensemble une facture visuelle et une complicité au fil des années que j’aime beaucoup. C’est une collaboration que je n’ai avec personne d’autre.»
«L’autre création qui fut très importante pour moi est le spectacle Everybody’s Welles pour tous avec Patrice Dubois. La lumière fut «écrite» en même temps que le texte et jouait un rôle narratif important. Ça a changé ma façon de faire par la suite.»
7. Admettons que tu as le choix entre nous partager une anecdote cocasse arrivée dans le cadre de ton travail OU nous dire ce qui fait ta particularité comme concepteur d’éclairages et qui fait que ta signature lumineuse est reconnaissable. Que choisis-tu? (50 points pour Gryffondor si tu arrives à mixer l’anecdote ET la particularité!)
«Je crois humblement qu’une de mes particularités est la sobriété. Je ne suis pas un concepteur d’éclairage très flamboyant, bien que parfois j’aimerais l’être plus. J’aime bien qu’on ne remarque pas trop les éclairages tout en appréciant qu’on les souligne. Pour moi, la lumière sert à voir et à émouvoir.»
8. Dans quel(s) projet(s) pourrons-nous voir ton travail prochainement, si ce n’est pas un secret d’État?
«Mon prochain projet est au Théâtre de Quat’Sous et s’appelle Première Neige / First Snow, dans une mise en scène par un vieux complice, Patrice Dubois. Ensuite, la nouvelle création de Michel Marc Bouchard au TNM, La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé, dans une mise en scène par Serge Denoncourt, et finalement le nouveau spectacle de Michel Rivard au Théâtre La Licorne, L’origine de mes espèces, dans une mise en scène de Claude Poissant.»
Surveillez notre prochaine chronique «Dans l’envers du décor» à paraître le 25 mars 2019.
L'événement en photos
Par Martin Labrecque