ThéâtreDans l'envers du décor
Crédit photo : Manon Parent
Mykalle, on aimerait que tu nous racontes comment tu as eu l’appel de la composition musicale, mais surtout de la conception musicale pour le théâtre?
«C’est tellement arrivé naturellement! C’est le résultat de plusieurs facteurs: je ne me suis jamais dit, je vais faire de la composition au théâtre, mais j’ai certainement décidé à un moment donné de faire de la musique sur scène. Ayant une formation d’interprète, le milieu du théâtre était naturellement le mien. Mais ça s’est surtout joué durant mes études en théâtre où j’ai eu l’occasion de composer et d’interpréter la musique de deux productions sur trois.»
«Dès ma sortie de l’école, la vie a fait en sorte que j’ai participé à des shows aux formes scéniques hybrides qui permettaient que je sois sur scène. De fil en aiguille, on m’a demandé de composer aussi des trames sonores, et les occasions n’ont jamais vraiment arrêté de se présenter depuis. Il faut dire que je me suis approprié ce langage, avec les années, pour développer mes spectacles (Gloria, Mythe) où je compose et interprète musiques et textes, et où développe une vision artistique de la musique mise en scène.»
En tant que conceptrice musicale, est-ce que ton travail trouve sa source dans le texte, dans les idées discutées avec l’équipe de créateurs et le metteur en scène, ou bien dans le travail des interprètes qui t’inspirent?
«Les trois! Sur tous les projets, il y a un dialogue constant entre ces dimensions. Le texte est souvent l’élément déclencheur, mais l’impulsion est très instinctive. On a besoin de la musique pour une image, un moment d’intensité scénique, pour des entre-scènes, bref pour faire évoluer l’émotion dans l’action.»
«Éventuellement, après discussions, maquettes et essais en salle de répétitions, on voit ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, on le ressent très clairement. Le test ultime est lorsque la musique rencontre les comédiens. Tout au long du travail, les inspirations viennent de partout: des discussions avec l’équipe, mais surtout avec le/la metteur.e. en scène qui me partage sa vision. Mon boulot est de trier ces inspirations et de créer quelque chose en accord avec les choix artistiques de toute l’équipe.»
Comment conçois-tu tes conceptions musicales pour le théâtre et par quoi te laisses-tu inspirer pour ton travail?
«D’un spectacle à l’autre, je suis mon intuition. Je me positionne en tant que spectatrice et je me demande ce que j’entends ou ce que j’aimerais entendre en même temps que «ce qui se passe» sur scène. Chaque spectacle est une aventure musicale.»
«Techniquement, j’utilise l’ordinateur, mais cela n’exclut pas les instruments traditionnels. La voix y est très présente. La composition se passe dans mon petit studio où j’improvise. Je travaille essentiellement avec du MIDI et des séquenceurs, et je conçois des maquettes que je donne au metteur ou à la metteure en scène pour qu’il les écoute et me donne du feedback. Je peaufine ensuite les propositions pour constituer peu à peu, en parallèle des répétitions, la trame sonore complète.»
«Pour entrer dans le flow, il arrive que j’écoute de la musique; ça peut être vraiment n’importe quoi. D’autres fois, ça part du son lui-même, d’une mélodie que j’ai en tête, d’un beat. Je ne prévois rien, tout se passe dans l’instant.»
À quoi ressemble une journée typique pour toi en tant que compositrice et conceptrice musicale? Fais-nous un petit récit des grandes lignes pour que l’on comprenne bien ton quotidien!
«Je me fais un thé et je m’installe dans mon studio pour travailler un temps indéterminé, souvent entre deux et cinq heures par jour, selon l’urgence et l’inspiration. Ça peut se passer à n’importe quel moment de la journée, mais c’est toujours mieux si je fais ça directement en me levant ou juste avant de me coucher, car j’arrive plus facilement à me concentrer. S’il y a une répétition et que j’ai du matériel à proposer, j’y vais. Sinon, je raffine les propositions jusqu’à ce que ce soit bon.»
«Je suis ma première auditrice: il faut que ça me plaise et je suis très critique. C’est d’ailleurs pourquoi je n’aime pas arriver en salle de répétition sans proposition et que je redoute d’improviser avec les acteurs. Comme tout est en construction, une musique qui n’agit pas comme elle le devrait, qui ne joue pas le bon rôle, brouille la lisibilité de «ce qui se passe» sur scène.»
Quels ont été tes plus grands défis à relever en carrière?
«Pour mes spectacles, les défis sont multiples, autant au plan artistique qu’administratif. Mais quand je ne fais que la musique sur une pièce, le principal défi est de me renouveler esthétiquement et musicalement. J’imagine que les musiciens sont avant tout des amateurs de musique, curieux face à la nouveauté et l’inconnu.»
«Un autre défi est de composer en groupe: le théâtre est une affaire d’équipe, mais je peux être étonnamment contrôlante, donc solitaire. C’est plus difficile aussi quand le/la metteur.e en scène ne sait pas ce qu’il ou elle veut. Je n’ai aucun problème à chercher avec lui/elle, mais pour une balance, trop de choix, c’est souvent pire!»
Est-ce qu’il y a une ou quelques productions sur lesquelles tu as travaillé dont tu es particulièrement fière ou qui t’ont particulièrement marquée?
«L’adaptation théâtrale de 1984 montée par Édith Patenaude. C’était jouissif à faire et à regarder. Sinon, j’affectionne les productions où je suis sur scène et où j’interviens dans le spectacle. Par exemple, avec les sœurs Véronique et Gabrielle Côté (Attentat, Je me soulève), mais aussi pour des projets plus hybrides, entre danse, théâtre et performance (Icône Pop, De Rage, Orphée Revolver). Bien sûr, le feeling sur mes productions est incomparable; Gloria est la plus marquante.»
Qu’est-ce ce qui fait ta particularité comme conceptrice musicale pour le théâtre, selon toi, et qui fait que ta signature musicale est reconnaissable?
«Probablement que mes skills de comédienne aident à créer une musique qui sait se faire personnage, qui connaît son rôle et joue sa juste partition. Ce regard de l’intérieur, conjugué à une écoute et à une fascination pour l’art dramatique, participe au fait que je crée une musique présente, sensible et opérante, nécessaire à l’action.»
«Esthétiquement, je me situe au confluent de la musique religieuse, particulièrement du chant sacré, mais aussi de la pop, du noise et d’une électronique instrumentale minimale inspirée de la scène berlinoise (Kangding Ray, Byetone).»
Dans quel(s) projet(s) pourrons-nous entendre ton travail prochainement, si ce n’est pas un secret d’État?
«En ordre chronologique: Les mains d’Edwige au moment de la naissance de Wajdi Mouawad, mis en scène par Jocelyn Pelletier au Théâtre La Bordée, ensuite chez DUCEPPE avec Marie-Hélène Gendreau sur Les enfants, puis au Théâtre La Licorne pour Les étés souterrains de Steve Gagnon, dans une mise en scène d’Édith Patenaude. Je me consacrerai cet automne à un projet d’enregistrement et à un prochain spectacle.»