ThéâtreDans l'envers du décor
Crédit photo : Yves Renaud
Jorane, on aimerait que tu nous racontes comment tu en es venue à faire de la musique professionnellement.
«Pour moi, être musicienne, c’est plus qu’une passion; c’est une vocation.»
«Dans mon cas, vivre de la musique, ce n’est pas arrivé du jour au lendemain. Ce n’était pas un choix, mais plus un rêve. Je ne me posais pas la question “Qu’est-ce qu’il faut que je fasse?”, je faisais. C’est-à-dire que je pratiquais, je jouais partout où on m’invitait, je composais, j’écrivais; et plus ça avançait, plus les opportunités se présentaient. Ensuite, c’est avec mon instinct super aiguisé que j’ai poursuivi avec les différents partenaires et collaborateurs.»
En tant que compositrice, musicienne et interprète active depuis près de 22 ans, tu as fait ta marque sur la scène québécoise, notamment au sein de tes projets solos, ou encore en jouant aux côtés d’artistes aussi variés que Sarah Mclachlan, Mara Tremblay et Bobby McFerrin. Peux-tu nous raconter brièvement tes rencontres les plus marquantes à vie comme musicienne?
«Mes profs de musique – tant à la guitare (Esther Mercier et Claude Gagnon) qu’au violoncelle (Huguette Morin) – sont, de loin, les personnes qui ont eu le plus d’influence sur moi. Pour la simple et bonne raison qu’ils m’ont toujours demandé et encouragée à être moi-même. À travers leur enseignement revenait l’assurance que j’étais à ma place.»
On sait que tu as aussi réalisé des bandes sonores pour le cinéma, le théâtre et la danse, entre autres pour Robert Favreau, Jean-Claude Labrecque et Margie Gillis. Tu es une vraie touche-à-tout! Au fil de ces divers projets, comment as-tu réussi à apposer ta signature artistique, et qu’est-ce qui t’attire le plus dans le fait de composer de la musique pour différentes disciplines?
«Ces gens sont venus me chercher précisément pour ma signature artistique personnelle, ma façon de composer. Le défi est plus, à chaque fois, de trouver comment traduire leur vision à travers mes couleurs.» «J’adore travailler en équipe et avoir différents rôles. Tout le processus me plaît, ainsi que les chemins pour se rendre à l’aboutissement de l’oeuvre. En fait, ce n’est pas la création qui m’habite, c’est plutôt moi qui habite une création… qui devient comme une maison que je construis, un morceau à la fois.»
«Rien n’est plus inspirant que quelqu’un de passionné! Imaginez quand une chorégraphe vous explique son histoire en mouvements, ou quand un réalisateur s’emporte pour vous dire comment ce moment est grandiose, ou encore quand vous êtes le premier regard sur un numéro de cirque!»
À quoi ressemble une journée typique pour toi? Fais-nous un petit récit des grandes lignes pour que l’on comprenne bien ton quotidien de musicienne et de compositrice?
«Ma vie est très organisée. Après la tornade du matin avec les trois enfants de 6 h à 8 h, je me prends un deuxième café et je vais passer ma journée dans mon studio où j’oscille entre les meetings de production et les élans créatifs. Tout est inspirant: je suis entourée d’instruments classiques et exotiques, j’ai des outils virtuels passionnants et performants, et je mène toujours plusieurs projets de front.»
«Aussi, le studio à côté, c’est Eloi Painchaud qui, lui aussi, mène son navire créatif. Que nous soyons dans le doute face à un thème ou particulièrement fiers, on se texte pour que l’autre vienne écouter, nous donner ses impressions; ensuite, on retourne à nos trucs.»
«Il n’y a jamais assez d’heures dans une journée.»
Dès le 19 février prochain, tu apparaîtras dans le laboratoire de création de la pièce Prologue au Roman de monsieur de Molière au Théâtre du Nouveau Monde (TNM), comme violoncelliste et compositrice de la musique originale. Comment as-tu abordé le travail de création musicale pour ce projet? Peut-être pourrais-tu nous parler de tes sources d’inspiration également!
«Je suis très heureuse de cette nouvelle collaboration avec le TNM et Lorraine Pintal.»
«Pour la musique, il y a un fond d’inspiration du XVIIe siècle; je me suis même replongée avec émotion dans l’une de mes musiques de film préférées, Tous les matins du monde. Mais vraiment, Lorraine et moi voulions camper notre Molière dans l’aujourd’hui, avec une certaine modernité parfois subtile, parfois évidente.»
«Je suis alors allée puiser dans une approche plus techno pour l’élaboration rythmique et le déploiement de certaines mélodies, entre autres pour la scène des Tréteaux ou bien l’arrivée du Roi. Les cordes sont cependant au coeur de bien des grands thèmes, comme celui de la mort de Madeleine et de Molière où l’émotion est à son maximum, à fleur de peau, après avoir compris toutes les subtilités de leur relation et les vertiges de la vie de Molière.»
Est-ce qu’il y a des projets sur lesquels tu as travaillé, toutes disciplines confondues, dont tu es particulièrement fière, ou qui t’ont particulièrement marquée?
«Toutes les occasions sont bonnes pour me dépasser, autant que pour m’inspirer. Les rencontres sont à la base de la motivation.»
«Le monde du théâtre est particulièrement passionnant, car tous les concepteurs s’inspirent entre eux. Il y a beaucoup de rencontres et, en plus, les comédiens sont amenés à jouer avec ta musique.»
C’est vrai que la musique de la pièce Le journal d’Anne Frank, qui a aussi été présentée au TNM et qui s’avère ma toute première collaboration avec Lorraine Pintal, m’est très précieuse. Pour ce qui est de mes propres projets personnels, celui qui s’en vient est de loin le plus poussé, le plus abouti. Et c’est celui qui compte le plus de collaborateurs.trices.»
Qu’est-ce ce qui fait ta particularité comme musicienne et compositrice, selon toi, et qui fait en sorte que ta signature est reconnaissable?
«C’est facile de pointer en direction de ma voix sans mots et accompagnée de mon violoncelle. Mais, au-delà de cette esthétique, je crois que c’est ma façon de voir la musique et de l’utiliser pour raconter, respirer et vivre un état, ou d’incarner une émotion qui rend mon approche particulière.»
«En fait, je suis extrêmement perméable à ce qu’on me présente. J’aime toutes les couleurs et, surtout, je ne travaille pas avec des règles préétablies. Oui, cela donne le vertige au début. Mais pour moi, ça vaut bien le paysage magnifique qui se déploie au fur et à mesure.»
Outre ta présence prochaine sur la scène du TNM, dans quel(s) autre(s) projet(s) webdiffusés pourrons-nous voir ton travail prochainement, si ce n’est pas un secret d’État?
«Je travaille à l’aboutissement d’une oeuvre personnelle, dont le premier extrait paraîtra au printemps. Toute la trame musicale sortira en septembre. On parle de quatre-vingt minutes de musique, qui vient d’un spectacle sur lequel je travaille depuis plusieurs années. Ce sera pour 2022-2023 (j’espère!)»