ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Nicola-Frank Vachon
Eh bien non. Il y aura bel et bien trois actes, mais pas ceux auxquels on s’attend. Dans une scénographie (Jean Hazel et Matéo Thébaudeau) kitsch surchargée aux allures de fausse Florida avec chaises de plage, piscine gonflable et aquarium, les interprètes dirigent leurs répliques vers l’assistance autant que vers leurs partenaires. Par les costumes exprimant dehors ce que les personnages sont dedans (Virginie Leclerc), les micros sur pied et la caméra projetant en direct, les figurines représentant les personnages, la mise en scène de Christian Lapointe établit dès le départ un climat de détachement et d’intensité tout à la fois, dans une esthétique de l’ironie corrosive. Nous n’assisterons à aucune réconciliation, à aucune blessure d’enfance, à aucun déchirement.
La première partie installe donc une exposition distante et critique de l’aveuglement volontaire, entre autres par deux «hymnes», l’un à la bitch chanté par les deux jeunes filles (Noémie O’Farrell et Joanie Lehoux), l’autre à la superficialité chanté pat la belle-sœur Madeleine (Ève Landry). La deuxième partie s’y consacre totalement en délaissant les personnages pour tirer à boulets rouges sur les clichés, les délires et les utopies de l’homo festivus festivus (celui qui fête la fête), sur sa désaffection de la société, sur sa prétention à la liberté et à ses droits. Le tout déclamé, scandé, chanté et glorifié, avec un humour qui ne craint pas l’absurde, sur une musique originale bien sentie de Keith Kouna.
Ceux qui ont vu Le traitement il y a près d’une dizaine d’années reconnaîtront le style syncopé de l’auteur britannique, l’amalgame entre le réalisme de certains dialogues et la dislocation des situations, le langage parfois brutal dans la forme comme dans le fond. On fait également le rapprochement avec Olivier Choinière, dramaturge québécois qui aime aussi exposer les travers en les exacerbant visuellement et linguistiquement. En fait, après le pouvoir, Martin Crimp poursuit son exploration des grandes quêtes de notre époque, ici celle du bonheur, quête dont il pousse l’extrapolation jusqu’à une forme de dissolution, d’immatérialité, d’intemporalité.
Si l’on passe une partie du deuxième acte à attendre que les personnages reviennent, dans l’espoir de retrouver une sorte de trame narrative, arrive un certain moment où l’on lâche prise. Ce genre de proposition artistique provoque et dérange. Elle déroute aussi, d’autant plus (peut-être) que les acteurs – Lise Castonguay, Roland Lepage, Denise Gagnon et Normand Bissonnette, outre les quatre déjà cités – la livrent avec tonus et vérité. À leur conviction, le spectateur se trouve à opposer son propre malaise, réel aussi, à interpréter certains passages. Il faut accepter que dans le foisonnement, la densité et l’inattendu, certaines choses nous échappent.
Dans la République du bonheur de Martin Crimp, une traduction de Philippe Djian, une adaptation québécoise et une mise en scène de Christian Lapointe, est présentée à la Cinquième Salle de la Place des Arts jusqu’au 28 février.
L'avis
de la rédaction