ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Jérémie Battaglia
Toutes les phrases sont courtes, comme des statuts ou des commentaires qu’on pourrait lire sur les réseaux sociaux si chers à ces cinq personnages, fiers représentants de leur génération. Cette génération, c’est celle qu’on nomme «y», celle née quelque part dans les années 80 et 90, celle qui a grandi avec Internet et qui dépend aujourd’hui des réseaux sociaux. Pour cette génération, la vie est un vaste théâtre que nos 2617 amis virtuels observent quotidiennement. Il n’est plus important de vivre, il est important de montrer qu’on vit. Montrer qu’on sort, qu’on était là, qu’on a une photo avec untel, qu’on a payé un verre à Camille Brunelle, et qu’on a terminé la soirée dans un party de musiciens dans un loft du Vieux-Port, où on a été invité par le DJ du bar. Dans la pièce de Guillaume Corbeil, toutes les phrases commencent par «je» ou «moi».
Poussant à l’extrême certains comportements et certaines situations typiques du mode de vie qu’a cette génération, Guillaume Corbeil pose un regard critique et inquiétant sur la situation, sans toutefois la juger ou la dénoncer. Il pousse plutôt le spectateur à se rendre compte par lui-même de l’absurdité de tout cela. Tout au long de la pièce, les personnages se racontent, à différents moments de leur vie, une soirée bien particulière qu’ils ont vécue ensemble. À force d’être répétés, les détails de cette soirée prennent des sens différents, montrant ainsi qu’on projette l’image qu’on choisit de projeter, parfois aux dépens de notre vraie personnalité, étouffée sous la personne qu’on voudrait être. «Je ne suis pas celui que vous pensez que je suis. Je suis banal. Je suis moi», lancera d’ailleurs un des personnages, prenant conscience de cette comédie dans laquelle il s’était laissé embarquer. Le spectateur se rend compte, comme les personnages sur scène, qu’à force de faire comme tout le monde, et d’observer les autres plutôt que de vivre, il se fond dans la masse et ne devient qu’un numéro interchangeable.
Tout ou presque est à sa place dans cette pièce. Le texte, magnifiquement bien écrit, est criant de vérité sans tomber dans le cliché et l’extrême. Même les extraits où les personnages sombrent peu à peu dans la drogue, l’alcoolisme, la prostitution et le crime, qui semblent exagérés à première vue, rappellent le voyeurisme dont font preuve les utilisateurs des réseaux sociaux. Chacun banalise son malheur en l’exposant au vu et au su de tous et chacun a toujours quelque chose de mieux à dire que le précédent.
Les cinq comédiens sur scène interprètent parfaitement ce texte, certainement pas évident à jouer. Peu de dialogues dans Cinq visages pour Camille Brunelle. Plutôt une succession de phrases se suivant plus ou moins. Francis Ducharme, Laurence Dauphinais, Ève Pressault, Mickaël Gouin et Julie Carrier-Prévost nous entraînent donc dans ce monde instagrammé, liké et partagé, mais qui finira par causer leur perte. Et c’est dans une mise en scène signée Claude Poissant, sur une scène entièrement recouverte de vêtements, que nous assisterons à cette déchéance.
Avec Cinq visages pour Camille Brunelle, le jeune auteur Guillaume Corbeil aborde un sujet dont on parle amplement, mais sous un angle différent et avec une vision nouvelle. Et si on se sent interpellé par le message, on ne pourra tout de même pas s’empêcher de sortir notre cellulaire en sortant de la salle, pour partager avec tous nos amis qu’on vient de voir «Cinq visages pour Camille Brunelle de Guillaume Corbeil, dans une mise en scène de Claude Poissant, à l’Espace GO». Like.
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