ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Maxim Paré Fortin
Lauréat du prix Gratien-Gélinas du meilleur texte d’un auteur émergent en 2016, Gabriel Plante plonge le spectateur dans une uchronie. En offrant ainsi une reconstruction fictive de l’Histoire, en l’occurrence l’assassinat de Pierre Laporte qui n’aurait jamais eu lieu, l’auteur remet en question l’identité québécoise. Il pointe alors du doigt l’héritage des baby-boomers.
Qu’ont-ils laissé aux générations futures? Force est d’admettre que la critique face à leur legs est sévère, puisque le protagoniste, Zandré, atteint l’âge de la majorité avec un coffre à outils vide. Il est grossier, niais et vulgaire. Il ne sait ni lire ni écrire. Il est démuni face à la vie, ne sachant comment se débrouiller, ne sachant comment être un adulte autonome. Il est surtout révolté contre ses parents qui l’ont eu pour des raisons financières.
Une proposition enviable sur papier, mais qui s’avère inintelligible
C’est bien beau sur papier, mais sur scène, le sens et la pertinence s’effritent dès lors que l’on passe la prémisse de l’histoire. Si la mise en scène de Félix-Antoine Boutin cherche à «nous [plonger] dans un univers hermétique où la médiocrité se transmet de génération en génération», c’est réussi. Tellement hermétique, notamment grâce au choix des codes théâtraux insondables et des métaphores indéchiffrables, que l’on perd le spectateur, à mon humble avis.
Pourtant, certains éléments scénographiques ont contribué à créer un univers parallèle. Que ce soit l’ouverture spectaculaire de la pièce, où le mur du fond se fait démolir à coups de masse. En effet, des rayons aveuglants émergent de ce que l’on croirait être une autre dimension. Visuellement, c’est très beau. Le ministre en sort coiffé d’un sac en papier brun, alors que Jacques L’Heureux convainc son partenaire Christian Bégin d’oublier ce plan foireux. La scène immense de l’Espace Libre est meublée de tables ici et là, et des sacs en papier sont suspendus au-dessus de chaises avec des vêtements pour illustrer des entités.
Le jeu distancié des acteurs et le choix des effets sonores confèrent quant à eux un sentiment d’étrangeté, comme ce choix d’avoir opté pour une distribution uniquement masculine. Cependant, une telle décision est-elle vraiment justifiée? L’auteur évoque «le reflet des figures essentiellement représentées dans notre société et dans les objets culturels qui la reflètent»… OK! Ce choix crée pourtant un profond malaise lors de la scène finale… Sans vouloir révéler le punch, disons que cette scène, que le metteur en scène emploie pour illustrer notre propre malaise face à notre Histoire, constitue un lien vraiment tiré par les cheveux. C’est juste profondément déstabilisant et choquant.
Quand l’originalité noie le propos
À force de vouloir concilier une série de métaphores et de créer un concept hors du commun, le propos initial se trouve éclipsé. L’auteur insiste sur l’aspect de la procréation comme si on était à l’époque de la Grande Noirceur, comme si rien n’avait évolué. À première vue, la volonté d’aborder la question d’identité québécoise et la volonté d’un troisième référendum, et ce, à travers la médiocrité et une esthétique répugnante, ne m’apparaît pas claire du tout. Comme l’absurdité ne sert pas le propos, elle l’enterre littéralement. On oublie les fondements de l’histoire.
Un hommage à Sébastien David
Sébastien David, qui interprète les jumelles siamoises au sein du spectacle, est le plus hilarant de la troupe. Il incarne admirablement bien l’aspect farfelu, limite déshumanisé, de cette famille grotesque et étrange qui se dévoile sous nos yeux. Il provoque certains rires à travers cette aliénation de deux entités qui parlent à travers un seul corps. De plus, la scène avec Gabriel Plante, qui tente de semer une graine de jalousie entre les «deux» soeurs, est particulièrement savoureuse. Parce que si Zandré injure sa famille avec aplomb, il sait être aussi sournois et malicieux dans ses pointes à l’intention de ses soeurs.
Enfin, bien que l’on doit s’abandonner à cet étrange spécimen, il manque selon moi un filon entre la représentation scénique et la vaste étendue d’idées et d’opinions sous-jacentes que l’auteur désire explorer et exposer ici. C’est mon avis, mais je crois qu’un comité de spectateurs aurait permis d’obtenir des clés de compréhension afin que l’on puisse apprécier pleinement et justement cette expérience théâtrale.
Cette initiative fort intéressante, mise en place par l’Espace Libre, ouvrirait le cercle au-delà des initiés déjà convaincus… et même encore.
«Histoire populaire et sensationnelle» en images
Par Maxim Paré Fortin
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