ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Marc-André Goulet
Nadia Essadiqi n’en est pas à ses premières armes en écriture. Le style adopté pour nous raconter cette histoire a deux qualités : c’est une prose poétique moderne, bien travaillée d’un point de vue formel. Les métaphores inattendues côtoient les réparties d’une ironie terre à terre réjouissante, les images crues et tendres en alternance maintiennent le spectateur sur le qui-vive. Pour peu, on se fermerait les yeux et on se croirait par moments dans un poème de Jean-Paul Daoust. Du point de vue dramaturgique, le style permet d’éviter l’épanchement mélodramatique, piège à éviter avec ce genre de sujet. Le jeu d’Essadiqi et de son comparse Julien Lemire est à l’avenant, généralement. Ils pourraient le simplifier encore davantage, cela viendra peut-être avec les représentations.
L’auteure est une touche à tout de la performance – jeu, musique, danse – et cela se sent. Outre la forme textuelle, la mise en scène (Ariane Castellanos) et le décor minimaliste (Mathieu Prud’homme) composé de deux tables et d’une passerelle, surplombées par un écran où sont projetés images et mots, privilégient le mouvement et met les corps à l’avant-plan. Toute l’attention est mise sur la forme, si bien que le contenu n’a que très peu de place. En fait, on cherche le propos. Ce spectacle semble né d’une idée sur un thème, mais les événements tragiques qui nous sont racontés ne s’appuient pas sur un fondement narratif très profond. Or, la tragédie doit naître d’une conception des luttes qui se jouent entre la conscience et les sentiments, entre les aspirations personnelles et les consensus sociaux, et ainsi de suite. Le propos ne s’autogénère pas du simple fait de parler d’inceste. Dans la tragédie, on ne fait pas mourir des gens impunément et sans justification.
Il n’y a pas de mal à utiliser ses forces comme point de départ. C’est ce que constitue ce texte. Mais pour l’amener à un niveau supérieur, Nadia Essadiqi devra soit se trouver un point de vue, soit changer de paradigme. En l’état, le spectateur reste sur sa faim.
«Le cœur animal» est présentée du 28 octobre au 1er novembre au théâtre La Chapelle (3700, rue St-Dominique).
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de la rédaction