ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Richard Termine
Frans de Waal, primatologue et éthologue de profession, a dit: «Doter les animaux d’émotions humaines a longtemps représenté un tabou scientifique. Mais si nous ne le faisons pas, nous risquons de passer à côté de quelque chose de fondamental, tant à propos des animaux que de nous-mêmes.»
Voilà l’essence même de la pièce Chimpanzé, créée, mise en scène et scénographiée par le comédien et marionnettiste new-yorkais Nick Lehane, venu présenter son œuvre en première canadienne Aux Écuries, après qu’elle ait été acclamée aux États-Unis puis en France depuis sa création au printemps dernier.
Le spectacle d’une durée d’une heure, sans paroles, met en scène une marionnette de chimpanzé, presque de taille réelle, manipulée avec virtuosité par Rowan Magee, Andy Manjuck et Emma Wiseman, marionnettistes américains qui parviennent, dès les premiers instants de la représentation, à faire vivre le primate avec un réalisme perturbant.
Basée sur des faits réels, la pièce raconte l’histoire d’une femelle chimpanzé vieillissante, désormais séparée de la famille d’humains avec qui elle a grandi, avant d’être isolée derrière les barreaux d’un laboratoire.
Ce spectacle nous confronte à la cruauté que l’humain est capable de faire vivre aux animaux, tout en nous obligeant à nous questionner sur le rapport affectif que nous sommes en mesure d’entretenir avec eux.
Une création qui relève du génie!
Les éclairages de Marika Kent et la conception sonore de Kate Marvin jouent un rôle primordial au sein de la trame narrative de Chimpanzé. Toute la compréhension des lieux et du temps se fait à travers un simple changement de lumière ou d’une ambiance sonore. La scène, d’une totale sobriété, présente une unique table des plus ordinaires en son centre. L’absence de décor est tout à fait justifiable et même totalement la bienvenue, puisque toute la scénographie prend vie à travers les sons et lumières de la pièce.
Les allers et retours entre le confinement du chimpanzé et ses souvenirs heureux au sein de sa famille d’humains sont marqués d’un changement d’éclairage tout simple mais ô combien efficace: on peut apercevoir un éclairage au néon d’une grande froideur visant à illustrer le laboratoire, de même qu’une lumière plus chaude pour ces moments de liberté et de découverte du monde extérieur.
L’ambiance sonore ainsi créée, parfois très imagée, parfois plus concrète, nous permet, en tant que spectateur, de nous situer dans les différents lieux parcourus par le chimpanzé, en plus de porter une grande partie de toute l’émotion véhiculée par l’œuvre.
Et les choix des créateurs relèvent du génie! La sobriété de la scénographie, l’inventivité et l’efficacité derrière la conception du son et de la lumière (qui donnent parfois place à des moments presque cinématographiques), la manipulation de la marionnette, d’une précision inégalée et d’une grande sensibilité, ont su porter à merveille cette histoire touchante qui a réussi à émouvoir aux larmes une grande partie des spectateurs.
Chimpanzé ouvre les yeux sur une réalité difficile à accepter, tout en réussissant à nous démontrer le monde de possibilités qu’offre la marionnette. C’était brillant, sur toute la ligne.
L'avis
de la rédaction