ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Dominic Lachance
Fraîchement trentenaire, l’héroïne de Chienne(s), interprétée par Marie-Claude St-Laurent, ne se considère pas, de prime abord, comme une fille particulièrement déprimée. Elle a pourtant rarement envie de répondre lorsque son téléphone sonne, déteste les surprises, et déteste aussi sa nouvelle job de recherchiste dans un troisième sous-sol sans fenêtres, aux archives d’une société qu’on croit reconnaître comme étant Radio-Canada.
Ses petites phobies, que l’on perçoit d’abord comme étant plutôt inoffensives, finiront par prendre beaucoup de place dans sa vie, tellement qu’elle se barricadera dans son appartement, distribuant des mensonges de moins en moins convaincus à son entourage, jusqu’à carrément ne plus répondre à personne.
Après leur ouvrage La coalition de la robe, publié fin 2017 aux Éditions du Remue-Ménage et écrit avec Marie-Claude Garneau, ces deux créatrices, qui militent pour la place des femmes au théâtre, récidivent avec une œuvre inclassable, d’une intelligence incandescente. Leur complicité manifeste se ressent dans chaque mot de ce texte qui aborde les phobies et l’anxiété avec autant d’humour que de gravité, en faisant des détours un peu surréalistes.
La protagoniste incarnée par St-Laurent n’a pas de raison précise pour se sentir ainsi; contrairement à sa meilleure amie (solide Larissa Corriveau), elle n’a pas été agressée par un homme, mais elle aimerait presque que ça ce soit le cas, afin d’avoir quelque chose à répondre aux éternelles et inquisitrices questions de ses parents et de ses employeurs.
La démarche des auteures est intéressante au niveau des personnages, ni genrés ni nommés. Ils sont écrits de façon à ce que n’importe quel acteur ou actrice puissent les habiter, et cela a aussi pour effet de faciliter l’identification des spectateurs à ces individus imparfaits, mais qui débordent de bienveillance. On retiendra ici la performance aussi tragique qu’hilarante d’Alexandre Bergeron, dans le rôle du propriétaire avec un drôle de problème médical.
Richard Fréchette et Nathalie Doummar offrent aussi des performances mémorables, et sont à un moment très déroutant de la pièce des cobayes d’une expérience sur le stress, amené si habilement que l’émotion toxique est transmise au public en un tournemain.
On retiendra aussi la performance marathon de Marie-Claude St-Laurent, qui est de toutes les scènes, et qui dégage une vulnérabilité doublée de fatalisme qui nous permet de croire que même au plus creux d’une vague de détresse, il n’a jamais été question de se laisser sombrer, mais d’explorer méticuleusement l’abîme, pour mieux en trouver la sortie.
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Par Dominic Lachance
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