ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Caroline Laberge
D’emblée, le metteur en scène et initiateur du projet, David Bobée, annonçait son intention de mettre en scène un texte qui démontrerait à quel point la description des mélancolies amoureuses qu’a su décrire si finement Ovide, en donnant la parole à quelques héroïnes outragées grecques ou romaines, était encore vibrante d’actualité. Oui, les passages évoquant l’incompréhension de Pénélope, la colère de Didon, la supplication de Phèdre et le regret d’Ariane parviennent à apporter à l’évolution du deuil de la femme blessée qu’incarne Limonchik une nuance intemporelle.
Mais la magie qui opère sur la scène où s’étalent les Lettres d’amour est plus profonde: ce n’est pas seulement les femmes d’hier qui semblent nous interpeller dans la lourde marche à travers les ténèbres qu’elle raconte, mais toute l’antique mécanique tragique qui parvient à saisir les spectateurs de notre siècle pour leur broyer efficacement le cœur.
Toutefois, on ne pourrait en aucun cas reprocher à l’ensemble son excès de classicisme, puisque Bobée, fidèle à son indomptable esprit d’innovation, a pris soin d’inviter, en guise de choeur, Dear Criminals, un trio québécois anglophone plutôt alternatif ainsi qu’un acrobate pour planer quelques mètres au-dessus du lit des chagrins, en plus de faire pleuvoir et venter dans la chambre, ce qui, au départ, étonne. Trop de tempêtes pour un seul verre d’eau? Il faut dire qu’avant d’éblouir avec ses élans dans les sangles aériennes Antony Weiss s’introduit plus en douceur dans la chambre, avec un jeu sans paroles assez réussi. Le fait qu’il accepte presque de se laisser toucher ne colle cependant pas tout à fait avec les mots dont il est l’objet: c’est lorsqu’il prend son envol qu’il emporte pour de bon, avec lui, la colère et la compassion du public.
Ainsi, plus que l’on n’aurait jamais pu l’imaginer, la mise en scène de Bobée parvient à trouver un équilibre entre les silences et les élans de génie de chacun, ce corps en fuite parvient à alimenter la rage tandis que le trio mêle ses sons et ses voix à ceux de la pluie et le vent pour en augmenter l’effet pathétique. Mais le discours d’Evelyne de la Chenelière prend aussi la liberté, en finale, de faire ressortir dans le drame qu’elle décrit un trait qui la distingue des icônes du passé. Ainsi Limonchik saura nous montrer ses larmes, mais aussi la force du renoncement qui pousse à reprendre le chemin de la vie… une vie qui promet d’être bien longue encore pour les artisans de cette petite merveille!
L'événement en photos
Par Caroline Laberge
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de la rédaction