ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Valérie Remise
Beaucoup, beaucoup d’humour se dégage de cette nouvelle création d’Emmanuelle Jimenez, malgré les profondes réflexions sociales qu’elle met de l’avant. C’est profond, c’est même confrontant, mais tout y est si adroitement placé et la finesse du texte est telle qu’une personne qui ne se contenterait que de percevoir le premier degré en ressortirait franchement amusé et diverti.
Il n’y a qu’à voir, d’abord, les chics costumes signés Denis Gagnon et les coiffures magistrales, voire démesurées, réalisées par Denis Binet, et ensuite la petite musique d’ascenseur – ou de centre d’achats! – à l’arrière-plan, toujours présente et mise de l’avant surtout lors de moments dramatiques du texte, décuplant l’absurdité du portrait et jurant joliment pour créer un clash presque jouissif.
Il n’y a qu’à voir, aussi, la configuration originale de la salle et de la scène, avec sa cabine d’essayage comme unique structure et ses murs et planchers d’un blanc immaculé, parfaits pour quelques projections judicieuses. Mais surtout, il faut voir les joyeuses couleurs apportées par les personnages de Marie-Ginette Guay et Anne Casabonne, entre autres, mais aussi le panache de Madeleine Péloquin, pour qui avoir le pouvoir d’achat et un sentiment de contrôle en achetant représente le bonheur ultime.
C’est un sentiment instantané qu’on ressent dès l’entrée en scène des sept interprètes: on sait déjà que ces personnages visiblement plus grands que nature, mais pourtant si profondément vrais, nous en feront voir de toutes les couleurs.
Elles sont toutes là pour de mauvaises raisons – l’une doit trouver une robe de bal à sa fille, car c’est l’accomplissement de sa propre vie à elle que de mener sa progéniture à vivre ce moment rêvé; une autre veut à tout prix trouver un cadeau pour sa sœur mourante plutôt que d’être à ses côtés à l’hôpital –, mais elles brossent néanmoins un portrait qu’on sent très réel de la faune de ces complexes commerciaux. Ces sept femmes d’âges différents et groupées deux par deux avec en plus Tracy Marcelin, un peu à l’écart, mais non moins efficace, préfèrent passer du temps au centre d’achats que de faire face à la réalité de leur vie.
Le personnage de Danielle Proulx est-il réellement trop vieux pour refaire sa vie? Arrive-t-il vraiment un moment dans notre existence où on n’est bon qu’à passer ses journées au centre d’achats?
Il y a, de plus, cette voix qui revient régulièrement, de plus en plus incompréhensible, qui invite les femmes à venir profiter de rabais. Ces femmes, autant que les spectateurs dans la vie de tous les jours, sont si bombardées de publicités à tous moments que toutes finissent par ne plus y porter attention, jusqu’à ce que Madeleine Péloquin fasse un beau «pétage de coche» en règle contre cette voix qu’on ne comprend même pas.
Il y a aussi ces moments choraux où les femmes répètent des slogans de marques, nous rappelant à quel point ceux-ci sont omniprésents et bien ancrés dans nos esprits, et énumèrent à l’unisson ce qu’elles recherchent – toutes la même chose, finalement.
Les réflexions mises de l’avant par l’auteure sont troublantes, mais si finement imbriquées dans une mécanique comique bien huilée, dans une mise en scène terriblement efficace, signée Michel-Maxime Legault, que ce n’est qu’après qu’on réalise toute la profondeur du propos. Même s’il ne faudrait pas croire que ce spectacle n’est que divertissement et rires à profusions, on ne peut s’empêcher de rire (avec empathie) et de tomber sous le charme de ces personnages désespérément à la recherche du bonheur et du sens de la vie dans une paire de pantoufles parfaites, et qui sombrent peu à peu dans la désespérance, l’épuisement, la colère et même la folie.
Dans ce centre d’achats, si elles sont à la recherche de tout, mais qu’elles ne veulent finalement de rien, le public, lui, en ressort plein de satisfaction, malgré des émotions contradictoires.
«Centre d’achats» d’Emmanuelle Jimenez en 7 photos
Par Valérie Remise
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