«Ce moment-là» au La Licorne: scènes de ménage – Bible urbaine

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«Ce moment-là» au La Licorne: scènes de ménage

«Ce moment-là» au La Licorne: scènes de ménage

Publié le 5 octobre 2012 par Alice Côté Dupuis

Entre engueulades et pots cassés, il faut réparer. Mais il est plus facile de tout ramasser et de remettre la vaisselle au lendemain. Dans la pièce Ce moment-là, présentée au La Licorne jusqu’au 10 novembre, l’une des pires chicanes de famille, tous médias confondus, a lieu devant nos yeux. Rien à craindre toutefois: à la fin, tout est propre… ou presque.

Dès le départ, le spectateur est plongé dans une ambiance cacophonique de personnages survoltés, presque trop déconnectés, artificiels, qui veulent tous parler en même temps. On joue gros pour démontrer le train-train quotidien de cette famille de Dublin. On abuse du mot «Seigneur», on sacre, on parle Québécois, mais également de villes irlandaises méconnues. Si l’adaptation n’a pas été jusqu’à transporter l’action de cette pièce de théâtre écrite par l’auteure irlandaise Deirdre Kinahan à Montréal, par exemple, il est tout de même surprenant de constater le souci du réalisme de Denis Bernard, metteur en scène. Il faut faire bouillir l’eau pour les nombreux thés, faire la salade, préparer une meringue…et ça ne se fera pas sans casser des œufs – littéralement. Ces nombreuses actions permettent réellement de vivre un épisode de la vie de cette famille dysfonctionnelle qui attend avec appréhension le retour du fils chéri, celui qui lui a ravi sa normalité. Mais il faut dire que ça fait beaucoup de vaisselle. Ce qui devient surtout problématique, ce sont les – trop – nombreux allers retours des personnages pour débarrasser la table, ranger les aliments au frigo et sortir des verres et ustensiles pour la visite.

En revanche, ces personnages, ils sont habilement joués, surtout en deuxième moitié de la pièce. Impossible de passer sous silence l’intensité dramatique des échanges entre Patrick Hivon et Émilie Bibeau, qui incarnent les frère et sœur Nial et Niamh. Si elle a tout à lui reprocher, il a en effet beaucoup à se faire pardonner. Mais n’était-il pas retourné chez sa mère seulement pour lui présenter sa nouvelle épouse, Ruth (Christine Beaulieu)? Des retrouvailles loin d’être simples.

Alors que les très enthousiastes Alice Pascual (la sœur, Ciara), Louise Laparé (la mère, Teresa) et Félix Beaulieu-Duschesneau (le mari de Ciara, Dave) trouvent la venue de Nial absolument «géniale» et «formidable», qu’ils sont «ravis» de rencontrer la «magnifique» Ruth, Niamh est loin de partager leur excitation. Éléments «comic relief» de cette production du Théâtre de la Manufacture, ils ne réussissent toutefois pas à calmer le jeu. C’est donc avec un profond malaise que le spectateur se retrouve presque au salon de la famille pendant qu’éclate la chicane du siècle. Au fond, le spectateur est au même niveau que le personnage de Finn (Mani Soleymanlou), ce collègue de Niamh qui, à la place de recevoir de l’amour de la part de celle qu’il aime bien, se voit plongé dans des démons familiaux vieux de 15 ans, complètement extérieurs à lui. Pourquoi est-il là? Et le spectateur, lui, pourquoi est-il là?

C’est que le conflit est tellement personnel, mais aussi tellement intense, qu’au final, on se demande si on n’aimerait pas mieux faire comme le personnage de la sublime Louise Laparé et vivre dans le déni pour sortir de cet enfer. Cette scène de ménage ne nous regarde pas, mais il faut avouer que c’est un bonheur de voir cette impressionnante distribution la jouer.

Coup de cœur pour Alice Pascual, une belle révélation dans ce rôle de «bonne fille» à sa maman, sans oublier Émilie Bibeau. La pauvre, prise dans la même situation que son personnage dans «Unité 9», à la SRC, alors qu’elle crie avec émotion «As-tu pensé à nous en prison? Quand tu nous a laissé avec ta marde?!» à un Patrick Hivon bouleversant.

Appréciation: ***

Crédit photo: Suzane O’Neill

Écrit par: Alice Côté Dupuis

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