ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Yanick MacDonald
Karim est un médecin légiste chargé de faire dire à un corps carbonisé qu’il n’a pas été maltraité avant l’immolation. Mais l’histoire de ce cadavre, celle qu’on raconte et celle que Karim se rappelle puisqu’il a connu le garçon jadis, gamin de trois ans riant dans une brouette, rend sa tâche plus difficile que d’habitude. Mentalement, psychologiquement. Il entre donc en dialogue avec le mort pour tenter de s’expliquer le pourquoi du comment.
Récapitulons. Tarek Mohammed Bouazizi, que sa mère appelait Besbouss, est mort. Dans un élan dément de rage et de désespoir, il a couru au petit magasin acheter un bidon d’essence, est revenu sur la place publique de son village et s’est aspergé avant d’allumer son briquet. Voilà. Est-il martyre, est-il devenu fou? Avait-il une vraie cause ou voulait-il uniquement faire parler de lui? Et lui, le médecin au service du dictateur, osera-t-il pour une fois ne pas arranger les choses comme il faut? Dans ce beau décor de cave poussiéreuse (Michel Crête) éclairée en oblique (Étienne Boucher), salle d’autopsie que l’on imagine officieuse, tout pourrait être possible.
Le personnage passera par toutes les postures intellectuelles possibles devant un tel gâchis. D’abord je m’en foutiste, puis sarcastique quant à son travail et sceptique quant aux motifs de l’immolation, il sera ensuite nostalgique de sa propre jeunesse aux accents révolutionnaires, indigné et révolté contre le pouvoir et enfin meurtri par sa lâcheté et repenti. C’est un problème, et il vient surtout du texte de Stéphane Brulotte. L’auteur aurait eu avantage à s’écarter de l’évènement pour n’en garder que l’inspiration. Cheminant avec lui dans les méandres parfois prévisibles de sa réflexion, on attend la sublimation qui demeure absente, on espère un revirement qui ne vient pas. Même la tension, bienvenue, créée par l’environnement sonore approprié (Alexander MacSween), reste vaine.
Dominic Champagne a dirigé Abdelghafour Elaaziz un peu lourdement dans cette succession de tableaux au discours dense. Étonnamment, le comédien nous offre ses plus beaux moments lorsque le personnage semble réfléchir pour lui-même, entrer en lui-même. On aurait quand même préféré que le metteur en scène lui épargne la tâche ingrate de simuler un âge plus avancé que le sien dans la démarche; à nous, on aurait souhaité qu’il épargne certaines redondances dans la gestuelle et surtout, le baiser final que l’on voit poindre bien avant qu’il n’arrive. En somme, voilà une production qui demeure pertinente, malgré les promesses non abouties de sa prémisse.
«Besbouss, autopsie d’un révolté» est présentée au Théâtre de Quat’Sous du 22 avril au 17 mai 2014 en coproduction avec le Théâtre il va sans dire.
L'avis
de la rédaction