ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Jean-François Gratton
Un prostitué (Benoît McGinnis) et un inspecteur (Marc Béland) sont enfermés dans un bureau. Un décor réaliste (Olivier Landreville) surplombé par le portrait du magistrat qui l’occupe habituellement, dont les parois en perspective forcée convergent vers une porte capitonnée, au fond. Trente-six heures plus tôt, le premier avait appelé les services policiers pour signaler qu’un cadavre se trouvait dans un appartement de la rue Casgrain et se livrer. Le paradoxe: le jeune homme s’est rendu, mais il ne veut rien dire du crime, ni son même nom ni celui du garçon qu’il a tué. Et c’est lorsque l’inspecteur, à bout, est sur le point de renoncer à comprendre le motif qu’il déballe tout.
Ce personnage, Yves, n’avait qu’une certitude, il avait du talent pour le cul. C’était probablement son seul talent, mais au moins il le savait et s’en servait à bon escient. Lorsque l’amour lui est tombé dessus, lorsqu’il l’a vu dans les yeux de Claude, c’était un absolu impossible à embrasser (et à soutenir) et il a disjoncté.
Si un thème pareil ne peut pas se démoder, le texte aurait pu, lui, mal vieillir. Campant l’action en juillet 1967 en pleine effervescence de l’Expo et solidement ancré dans un parler très montréalais, il demeure néanmoins tout aussi percutant par sa construction et par ses mots. Et des mots, chez Dubois, il y en a! C’est d’ailleurs, peut-être, le premier test posé par le personnage d’Yves que Benoît McGinnis passe haut la main: celui d’être capable de nous les servir au rythme qu’ils imposent sans avoir l’air de parler pour l’auteur; celui de savoir les moduler, les nuancer, se les approprier. La rage d’Yves à propos des mots qui ne traduisent ni la pensée ni surtout la réalité, « qui ne veulent pas, qui sont usés, fesses » fait d’ailleurs sourire, car pour le spectateur, c’est exactement l’inverse qui se produit.
McGinnis prouve donc par sa manière autant que par son ton que ce rôle n’était pas démesuré pour lui, bien au contraire. Ce projet de remonter Being at home ayant pris forme dans son esprit et celui de son complice Marc Béland, il allait de soi que ce dernier jouerait l’inspecteur. Or, Béland est un fougueux et ce tempérament, qui le sert souvent très bien, n’est peut-être pas le plus ajusté dans ce cas-ci. Bien que le rôle de l’inspecteur ici n’en soit pas un de brute, le personnage aurait eu avantage à dégager une plus grande autorité. Son désarroi devant l’énigme que représente Yves n’en aurait été que plus crédible et le mutisme de ce dernier encore plus étonnant.
Mais peut-on reprocher ce bémol au metteur en scène Frédéric Blanchette (Le Périmètre), choisi par le duo d’acteurs lui-même? Oui. Et non. Dans ce jeu du chat et de la souris, qui s’étiole un tantinet à mi-parcours pour reprendre de l’ardeur, l’absent prend beaucoup de place. Yves est avec Claude beaucoup plus qu’avec l’inspecteur et en cela, ce qui sépare les deux personnages n’a pas tant d’importance, l’effet est atteint. On se questionne toutefois sur la pertinence du tableau final, qui nous montre ce que nous n’avions pas besoin de voir sans révéler quoi que ce soit de plus sur le point de vue de l’inspecteur. Étrange.
«Being at home with Claude» de René-Daniel Dubois dans une mise en scène de Frédéric Blanchette est présentée au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 11 octobre.
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de la rédaction