«Bar» de Spiro Scimone sur la scène du Théâtre Outremont – Bible urbaine

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«Bar» de Spiro Scimone sur la scène du Théâtre Outremont

«Bar» de Spiro Scimone sur la scène du Théâtre Outremont

Jouer grand mais petit

Publié le 3 mars 2013 par Alice Côté Dupuis

Crédit photo : Lydia Pawelak

Malgré l’aspect grandiose du Théâtre Outremont, c’est sur une minuscule scène que Marc Beaupré et Pierre-François Legendre ont défendu le texte de l’Italien Spiro Scimone. La mise en scène de Luce Pelletier, directrice générale et artistique du Théâtre de l’Opsis, est efficace: elle coince les deux interprètes dans un petit Bar, de la même façon que les deux personnages sont coincés dans leur vie misérable, sans oublier l’effet de proximité et de complicité que cela amène inévitablement. 

Sur une scène carrée, en angle et surélevée, les deux comédiens, qui portent à eux seuls la pièce, se donnent corps et âme pendant 50 minutes. Seulement 50 minutes? C’est que ça n’en prend pas davantage pour faire le tour de la pauvre vie de Petru (Beaupré) et Nino (Legendre). Si le premier a bon espoir de pouvoir racheter les trop nombreux objets qu’il a vendus à Gianni pour payer ses dettes de jeu en… gagnant aux cartes, le second se plaît à rêver que sa vingtaine d’années de barman dans le miteux commerce de son oncle pourrait le mener à une carrière de barman qui fait des apéritifs dans un bar plus huppé. En 50 minutes, le spectateur parcoure donc quatre journées presque complètes dans la vie des deux protagonistes, mais d’un jour à l’autre, rien ne se perd, rien ne se créé, tout se recycle.

Alternant entre rêveries et souvenirs d’enfance, durant lesquels Nino jouait aux mouches pour remporter des sous, alors que Petru préférait ramasser des coquerelles vivantes (mais «au jeu des coquerelles, il n’y a pas d’argent»), Bar présente un texte empreint de naïveté et de candeur. C’est que les deux personnages imaginés par Spiro Scimone ne semblent pas habiletés à vivre leur vie d’adulte. À trente ans passés, les protagonistes passent leurs longues journées dans l’arrière-boutique d’un bar qui ne leur appartient pas, à rêver d’un avenir qu’ils n’atteindront pas, à discuter de projet qui ne verront jamais le jour, mais surtout, à attendre. Presque comme En attendant Godot de Samuel Beckett, Nino et Petru attendent Gianni, ils attendent la chance, ils attendent de vivre.

En attendant, le spectateur en apprend un peu plus sur les deux personnages clownesques. Si Nino dort avec sa mère depuis 20 ans et que celle-ci coupe son réveille-matin chaque jour pour avoir le bonheur de réveiller son fils avec un café au lit, Petru est marié mais sans alliance, car il a dû la vendre à Gianni, celui qui «faisait travailler les pères de famille, mais l’argent, c’est lui qui la prenait.» Bien que les personnages soient tristement naïfs, il faut reconnaître le génie du texte de Scimone, qui est assez explicite pour que le spectateur comprenne – par exemple que Petru fricote avec la petite mafia -, sans que les personnages eux-mêmes ne soient conscients de leur désolante condition. Voilà donc un défi supplémentaire pour Legendre et Beaupré: jouer la crédulité à son paroxysme, faire semblant qu’eux-mêmes ne comprennent pas.

Et ça réussi, car Beaupré et Legendre livrent dans Bar une performance plus qu’intéressante où complicité et coopération se font sentir. Les deux se relancent constamment la balle d’habile façon en impliquant dans leur jeu autant leurs expressions faciales – accentuées grâce à un visage peint en blanc, des fossettes dessinées en rouge et des sourcils foncés – que tout leur corps, dont les mains se frottent et les jambes gigotent d’angoisse. Mais étonnamment, ce sont les silences de Petru et Nino qui parlent le plus. Des silences lourds de sens, qui ont bien vite fait d’être achevés par une ligne tristement drôle d’un des personnages, qui font presque pitié tant ils sont comiques sans le vouloir.

En occupant la scène de façon impressionnante malgré sa petitesse et en ponctuant la courte pièce de sorties de scène – ou sorties de bar, car ils sont en vérité toujours à la vue du spectateur, grâce à des murs presque transparents – leur permettant de souffler tout en marquant le changement de journée, Beaupré et Legendre incarnent de très charmants clowns tristes. Mais il faut avouer que malgré qu’elle soit un divertissement fort agréable et qu’elle possède deux interprètes de grand talent, Bar ne demeurera sans doute pas dans l’imaginaire collectif, tout comme plusieurs autres soirées dans un bar dont on ne se souvient que vaguement.

La pièce Bar est une production du Théâtre de l’Opsis et est en tournée à travers le Québec jusqu’au 26 mars, où la troupe s’arrêtera à l’Assomption, en passant notamment par la Gaspésie. Toutes les dates de tournée se retrouvent sur le www.theatreopsis.org.

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