ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Véronique Boncompagni
L’attente s’est prolongée pour le public de Québec: la pièce devait faire partie de la saison nomade 2017-2018 du Périscope. Or la caravane a été contrainte de se délester de cette production l’année dernière, faute de lieu où tenir les représentations.
C’est sur un terrain miné qu’est convoqué le public de Québec: celui du vaste chantier des questions relatives aux féminismes. Plusieurs concepts passent au crible, la bienséance féministe (entendons par là les comportements décrétés comme admissibles par le patriarcat), la charge mentale qui accable les femmes, la dépression post-partum, la sexualisation du corps des femmes, l’expression de la colère féminine, etc.
La complaisance de la gent masculine
Ces nombreuses avenues de réflexion sourdent d’une situation apparemment banale. Cédric (David Boutin) est temporairement démis de ses fonctions à Hydro-Québec. Il a tenu des propos diffamatoires – inspirés du funeste mouvement «Fuck her right in the pussy» – à l’endroit de l’animatrice Chantal Machabée, en pleine animation d’un match des Alouettes de Montréal. Jean-Michel (Steve Laplante), le frère de Cédric et journaliste pourvu d’une verve prolixe, dénonce fermement cet incident. Soucieux de dérober les femmes au sort fatidique qui leur échoit, il prolonge l’idée de son frère d’adresser une lettre d’excuses à Machabée. Ensemble, ils entament la rédaction de 200 lettres d’excuses à l’endroit des femmes. Les preux frérots entendent colliger ces lettres dans un recueil pompeusement intitulé Sexist Story.
Nadine (Isabelle Brouillette), la conjointe de Cédric, est dépitée par la complaisance de celui-ci. Amy (Victoria Diamond), la baby-sitter lumineuse et ingénue dont Cédric sollicite les services, déloge éventuellement Nadine du désœuvrement dans lequel elle a sombré. Amy s’affaire à la mise en scène de jeux curieux sensés permettre à Nadine de recouvrer son bien-être psychologique. Or, ce sont des maux sociaux qui affligent cette dernière, dont les ramifications sont enfouies profondément dans le champ de la conscience collective.
Sur les entre-faits, Jean-Michel, chevaleresque, en vient à offrir à la baby-sitter de l’extirper de sa condition de vulnérabilité. Il se bute à l’agentivité d’une jeune femme joueuse, puissante, et en pleine possession de ses moyens.
L’humour comme éclairage sur des enjeux sensibles
L’écriture de Catherine Léger est frondeuse. Si les préliminaires de la pièce font naître la crainte d’un ton didactique, il n’en est rien. Les dialogues incarnés ne soufflent pas sur les braises de la posture pédagogique appréhendée, et dans l’ensemble, le buffet réflexif qu’offre Baby-sitter est franchement réjouissant. L’autrice n’a pas versé non plus dans la surenchère, la crevaison de trop nombreux abcès posant un risque sérieux de verser dans la superficialité.
Qui plus est, Baby-sitter désarçonne. Quand le voile est levé sur le caractère sexiste de certains traits ou propos, quels repères subsistent? Cette question n’est pas sans rappeler ces hommes veules qui allèguent une «crise identitaire», arguant que les nouvelles notions en matière de consentement les rendent désœuvrés dans le champ de la séduction, ou encore ces femmes qui défendent la soi-disant «liberté d’importuner» des hommes. Magnifique.
Le rire a cette faculté de lubrifier la démarche de réflexion. La tenue de certains propos devient possible lorsqu’ils sont enduits du vernis de l’humour. Il est toutefois assez déroutant de relever qu’en fait, certains comportements fardés d’absurdité dans la pièce recèlent une part de vérité, c’est-à-dire que nous avons le loisir de les observer dans notre vie quotidienne.
Un texte se suffisant à lui-même
La mise en scène de Philippe Lambert suscite des questionnements. Il faut reconnaître une direction d’acteurs-rices efficace. Le personnage de Nadine, entre autres, se compose longuement un visage, ses expressions faciales sont d’une justesse renversante. Autrement, aucun artifice ne sertit le cours de la pièce, outre quelques transitions de musique électronique et de lumières qui insufflent encore plus de rythme à la pièce. Cette sobriété dans la mise en scène est toutefois judicieuse, le texte de Catherine Léger se suffisant largement à lui-même.
Malheureusement, les représentations ne se tiennent que jusqu’au 24 novembre au Périscope. Les tenants-es d’un élargissement de notre conscience collective en matière de condition des femmes sont ainsi tenus de se hâter afin de ne pas louper cette superbe opportunité de rire et de réfléchir.
«Baby-sitter» au Théâtre Périscope en photos
Par Véronique Boncompagni
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