«Auditions ou Me, Myself and I» de l’auteure allemande Angela Konrad au Théâtre de Quat'Sous – Bible urbaine

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«Auditions ou Me, Myself and I» de l’auteure allemande Angela Konrad au Théâtre de Quat’Sous

«Auditions ou Me, Myself and I» de l’auteure allemande Angela Konrad au Théâtre de Quat’Sous

Le théâtre qui ne prend jamais l’affiche

Publié le 22 janvier 2015 par Charlotte Mercille

Crédit photo : Marc-André Goulet

Dans la salle de répétition qui contenait à peine une cinquantaine de personnes au Théâtre du Quat’Sous, l’auteure allemande Angela Konrad présentait hier soir sa dernière création décoiffante. Auditions ou Me, Myself and I décortique les mécanismes du pouvoir dans une relecture de Richard III, un classique du répertoire de Shakespeare. Les auditions pour monter cette même pièce tournent rapidement au vinaigre à mesure que la metteure en scène va s’approprier le projecteur. À l’affiche jusqu’au 31 janvier 2015.

Metteure en scène d’expérience, Ricki (l’excellente Dominique Quesnel) vient tout juste de mettre au point une nouvelle version féministe de Richard III. Il ne manque plus que des têtes d’affiche pour jouer le protagoniste et ses fameuses dames, Lady Anne, Margaret et Elizabeth. Les répétitions se transforment en cauchemar pour les acteurs, lorsqu’il devient clair que Ricki sert plus son propre égo que l’œuvre à monter. Dans cette mise en abyme, l’échec de Ricki devient une pièce de théâtre grotesque et sublime, que seule la promiscuité d’une salle de répétition peut dévoiler.

La personnalité machiavélique de la metteure en scène est caricaturale. Ricki se pavane au milieu de cœurs brisés. Elle manipule les acteurs principaux ainsi que son assistante. Comme un ventriloque, elle fait dire à ses pantins ce qu’elle veut bien entendre. Elle tisse sa toile à l’aide de leurs douleurs personnelles. Dominique Quesnel s’enveloppe dans le rôle à merveille. On aime les regards entendus que nous lance l’assistante Vicki (Stéphanie Cardi), assez lucide pour constater le carnage, sans être suffisamment déterminée pour abréger ses propres souffrances en démissionnant.

Bien qu’elle verse dans un répertoire régulièrement visité, Conrad explore des facettes méconnues des jeux de pouvoir de Shakespeare et les transpose dans le milieu du théâtre. Elle montre le pire des relations humaines dans cette satire des dynamiques entre directeur et acteurs. Ricki est sans scrupules, mais tout dans sa gestuelle trahit une fragilité prête à fondre sur le sol, de la même manière que les acteurs se soumettent à ses exercices à quatre pattes. Les despotes comme Richard III sont ainsi condamnés à voir le château de cartes qu’ils ont bâti s’effondrer sur eux. Les passages du texte original de Richard III étaient bien choisis. Par contre, ils auraient gagné à être coupés afin d’éviter d’étouffer l’intelligence du reste du dialogue.

La fin est interminable. Le tyran vaincu contemple sa défaite. Si elle ne s’était pas déjà mise dans la peau de Richard, Ricki le fait réellement lorsque son spectacle est définitivement perdu. Nul besoin de costumes pour en convaincre le spectateur. Le dialogue perd un peu de direction vers les dernières scènes, mais témoigne peut-être de la déroute émotionnelle de Ricki.

Angela Konrad nous raconte la tragicomédie d’une pièce avortée. Une pièce esseulée, meurtrière qui tue à petit feu chaque acteur important à sa réalisation. La pièce, c’est Ricki. Elle s’accroche au monde tout en le méprisant de ne pas l’aduler à sa juste valeur. Le spectacle est monté dans une intimité égale aux coulisses du théâtre. Sans subvention, sans autre scénographie qu’un projecteur, dans la salle de répétition du Quat’Sous, Konrad nous plonge dans un univers fascinant: celui du théâtre qui n’arrive jamais jusqu’à la scène.

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