«Angoisse cosmique ou le jour où Brad Pitt fut atteint de paranoïa» au Théâtre La Licorne – Bible urbaine

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«Angoisse cosmique ou le jour où Brad Pitt fut atteint de paranoïa» au Théâtre La Licorne

«Angoisse cosmique ou le jour où Brad Pitt fut atteint de paranoïa» au Théâtre La Licorne

Prise de conscience ou divertissement?

Publié le 14 mai 2014 par Alice Côté Dupuis

Crédit photo : Nicola-Frank Vachon

Dans les bulletins de nouvelles, les documentaires, mais aussi dans les films, les propos alarmants concernant l’état de la Terre et les messages moralisateurs se multiplient. Faut-il voir dans Angoisse cosmique ou le jour où Brad Pitt fut atteint de paranoïa, de l’auteur danois Christian Lollike, une tentative de prise de conscience de plus, bien qu’elle-même parodie les grands discours et les actions sans réel impact des stars hollywoodiennes comme Brad Pitt? Ou faut-il la voir simplement comme un divertissement cinglant et dérisoire qui se donne bonne conscience en ayant un propos environnemental? Le réchauffement climatique, la couche d’ozone, la sécheresse, la faim dans le monde… faut-il en rire?

Il vaut mieux en rire, répondrait Michel Nadeau, directeur artistique du Théâtre Niveau Parking, qui présente la pièce, et metteur en scène du spectacle, qui, d’entrée de jeu dans son mot de présentation avertit: «Tant qu’on en rit, à défaut d’agir, on tient la peur au loin…». L’objectif que s’était donné l’homme de théâtre a effectivement été plus qu’exploité, dans Angoisse cosmique ou le jour où Brad Pitt fut atteint de paranoïa, alors que trois colocataires – un homme et une femme en couple, et un autre homme – inventent une multitude de scénarios plus loufoques les uns que les autres, mettant en vedette un Brad Pitt imaginé, qui tente désespérément de communier avec la nature et de trouver la meilleure façon de conscientiser ses fans grâce à son prochain film.

Très dynamique, la pièce présente tour à tour les trois personnages dans le rôle de Pitt, puis dans le quotidien de leur appartement qu’on imagine sur le Plateau-Mont-Royal – à voir le foulard stéréotypé du bobo joué par Hugues Frenette –, ou dans des scènes jouées par les trois personnages grâce à un mobilier bougé et à divers objets, perruques et chapeaux enfilés selon la situation. Le tout est également ponctué de vidéos montrant tantôt un extrait du documentaire d’Al Gore, tantôt une entrevue avec Hubert Reeves ou encore avec le philosophe Luc Ferry.

Les yeux et les oreilles sont ainsi comblés, alors que les comédiens (Hugues Frenette, Claude Breton-Potvin et un Emmanuel Bédard convaincant et polyvalent) utilisent à la fois l’espace dans sa totalité, allant même jusqu’à grimper sur chaises et table, mais aussi différentes façons de communiquer. Une caméra vidéo est effectivement utilisée à quelques reprises, diffusant en instantané les images filmées sur écran, alors que des micros servent à amplifier certains passages se voulant plutôt narratifs, presque comme des didascalies donnant des instructions de jeu à Brad Pitt au fur et à mesure de la scène.

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La très grande utilisation de la technologie et des écrans – qui, lorsqu’éteints, ont un aspect miroir qui permet de renvoyer l’image des comédiens d’un côté qui est habituellement inaccessible aux spectateurs – est un apport intéressant à cette pièce qui critique au passage l’avènement des réseaux sociaux et de la technologie. On se demande toutefois à quel point ces artifices sont utiles au propos et, quand on a vu un, deux ou trois vidéos, cela semble superflu de briser le rythme et de couper court à des scènes aux propos intéressants pour en ajouter encore et encore, jusqu’à terminer la pièce avec des images de la création du monde jusqu’à aujourd’hui, traversant époques et découvertes.

Les rires fusent malgré tout ici et là, et les sourires sont nombreux dans l’assistance, grâce à des idées très réussies. Par exemple, cette scène de flagellation où la femme se fait punir parce qu’elle voyage en voiture et, pire, parce qu’elle en désire une nouvelle; un bon lien avec la religion, précédemment évoquée en comparant les organisations environnementales aux églises : une façon de donner de l’argent pour se donner bonne conscience. Avec des répliques comme «Je n’ose plus respirer parce que mes poumons transforment mon air en dioxyde de carbone» ou «Je suis devenu végétarien quand j’ai appris que les pets et les rots des vaches créaient des gaz à effet de serre avec leur méthane», Angoisse cosmique ou le jour où Brad Pitt fut atteint de paranoïa se révèle être une critique sociale efficace, tout en étant drôle.

Pourtant,  le spectateur reste sur sa faim à de trop nombreuses reprises, puisque toutes les mises en scènes et vidéos présentées sont coupées sans arriver à une conclusion. On crée un nouveau scénario pour Brad Pitt, dans la forêt ou encore dans un asile, mais on le coupe lorsqu’il devient trop «lourd», alors on prend une pause avec un vidéo présentant une catastrophe naturelle qu’on arrête parce qu’il fait peur, donc on débute une nouvelle scène avec Pitt, à laquelle on met fin prématurément parce que finalement, c’est angoissant, tout ça. La multitude d’histoires imaginées permet, certes, une diversité et un dynamisme bienvenus, mais ne permet d’aller au fond d’aucun problème ni d’aucune cause. L’état de la planète, la dégradation de l’environnement, on peut en rire si cela permet d’en parler et de conscientiser les gens, mais il faut aussi savoir trouver un juste équilibre, sans quoi seul le divertissement reste gravé dans les mémoires.

La pièce «Angoisse cosmique ou le jour où Brad Pitt fut atteint de paranoïa» est une création du Théâtre Niveau Parking, mise en scène par Michel Nadeau, et présentée au Théâtre La Licorne jusqu’au 24 mai 2014.

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