ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Yves Renaud
Ce concerto à six voix en drame majeur nous raconte l’histoire d’une écorchée, à cinq périodes de sa vie. Avec l’aide de Madeleine (Lorraine Côté), sa sœur, les blessures refont surface pour s’expliquer. Ses divers âges nous la montreront désemparée (à 30 ans, Émilie Bibeau), fataliste (à 40 ans, Èva Daigle), affranchie (à 50 ans, Marie Tifo), dépressive (à 60 ans, Lise Castonguay) et enfin raisonnable (à 70 ans, Monique Miller). Mais surtout, comme un fil conducteur de tous ces états, c’est l’impuissance de sa rage qui la définit. Lucide, elle comprend que sa violence ne la soulage pas ni ne la libère. «Y a pas de mots pour dire l’impuissance de la rage. Y a pas de mots.» Alors elle frappe.
La création d’Albertine, en cinq temps remonte à 1984. À cette époque, la révolution sexuelle avait eu lieu, les revendications du mouvement féministe semblaient moins saugrenues que dix auparavant et l’émancipation des femmes progressait au fur et à mesure que les mentalités évoluaient. Michel Tremblay, au sommet de son art, donna au théâtre une pièce unanimement saluée et acclamée. Par ce petit chef d’œuvre, il offrit à des milliers de femmes, mais d’hommes aussi, la possibilité de voir, de manière douloureusement sublimée, une histoire issue d’un passé encore tout proche.
À la mise en scène, Lorraine Pintal a choisi de miser d’abord sur ce texte et elle a eu raison, évidemment. Ce texte sautillant et vif se révèle d’une réplique à l’autre cinglant, dramatique, drôle, ironique, triste, émouvant. Il était donc naturel de lui laisser le plus de place possible dans le jeu (inégal, toutefois) des six comédiennes. La plus grande réussite de cette production réside dans les rapports entre les cinq incarnations ainsi qu’avec leur sœur. La bienveillance envers les plus jeunes émanant du jeu de Monique Miller est touchante, la tristesse qui s’empare de Marie Tifo lorsqu’elle apprend que son bonheur ne durera pas est émouvante. La musique bien dosée de Jorane soutient d’ailleurs de belle façon les moments forts du récit.
On aurait quand même souhaité une exploitation plus dynamique du décor blanc sur rails, formé d’escaliers et de paliers (signé Michel Goulet), et une utilisation plus soutenue de la symbolique. Bien sûr, le décor appuie le texte: la froideur de l’environnement, symbolisant l’absence d’amour autant que les murs aseptisés du CHSLD, se teinte de rouge à la toute fin, par le manteau que les cinq incarnations enfilent ainsi que sur la toile de fond. Ce rouge, c’est le sang de Thérèse assassinée, mais c’est aussi la pulsion de vie. Mais en 2014, 30 ans après la création, n’aurait-on pas pu dépasser l’adéquation entre le propos et l’image pour pénétrer davantage dans l’interprétation symbolique?
Sans bouder le plaisir d’entendre résonner ces mots, on cherche un peu le point de vue de Lorraine Pintal, ce qu’elle avait de nouveau à nous dire à propos de l’impuissance de la rage.
«Albertine, en cinq temps» est présentée au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 5 avril et en supplémentaire les 9 et 10 avril.
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