ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Nicolas Descoteaux
Dans 4.48 Psychose, une femme, que l’on suppose jeune puisque Sarah Kane l’était, déclare à son médecin que son projet, pour l’année qui vient, est de se suicider. À 4h48. Quel jour, ça reste à déterminer, mais il est certain qu’à quatre heures quarante-huit un jour de cette année, elle verra la lumière et sera enfin délivrée. Elle ne veut pas mourir, elle ne veut plus vivre. Ce n’est pas la mort qui l’attire autant que la vie ailleurs, différente, meilleure peut-être. Car elle n’est pas ici, elle ne l’a jamais été. «Quelque part dans une réalité objective mon corps et mon esprit ne font qu’un. Je ne suis pas ici.»
Dialoguant tantôt avec ce médecin, tantôt avec d’autres personnages plus flous, tantôt encore avec une voix intérieure, la femme dévoile son incapacité à entrer en relation, à trouver un sens à sa vie. Le médecin nous apprend qu’elle a de nombreux amis, mais à la question répétée avec insistance «Que leur apportez-vous?», silence. Par moments très lucide, le personnage souffre d’une irréfutable et irrémédiable carence émotive et sociale.
Salutaire mise en scène
Dans ce type de textes dont le nœud est verbal davantage que situationnel, où l’intrigue cède le pas au langage, il incombe à la mise en scène d’intéresser le public et de créer un tant soit peu de montée dramatique. Florent Siaud y parvient d’abord en instaurant un rapport dialogique entre l’assistance et le personnage, à laquelle celui-ci s’adresse d’entrée de jeu. Le dévoilement progressif du décor (Romain Fabre) par l’ouverture du dispositif scénique rythme le cheminement du personnage et accompagne également le spectateur dans la pénétration de sa psyché. La proximité initiale de la comédienne et du public soude intelligemment les deux «interlocuteurs» et permet à ce dernier de se considérer toujours partie prenante du spectacle dans les passages où la pièce verse du côté de la performance plus abstraite, où les effets visuels (David B. Ricard), sonores (Julien Éclencher) et physiques (une quinzaine de figurants) s’entremêlent et obscurcissent les fils narratifs.
Sophie Cadieux a le don extraordinaire de faire ce qui semble contradictoire dans les termes, c’est-à-dire opérer avec fluidité toutes les ruptures de ton. Elle propose (on l’aura compris!) une interprétation aussi souple qu’investie, soutenue admirablement par un texte français poétiquement incarné signé Guillaume Corbeil.
Au final, cette Sarah Kane dont on nous met en garde contre l’effet dépressif et répulsif, nous apparaît comme une mésadaptée chez qui l’espoir, sans être absent, se situe dans un lieu hors d’elle et hors du monde, un lieu verrouillé dont, peut-être, la mort offrira la clé. Chacun sa vérité, pourrait-on dire. Sarah Kane veut proférer la sienne envers et contre tout, ce qui est déjà une lumière plus brillante que l’apitoiement et les larmoiements.
«4.48 Psychose» de Sarah Kane, mise en scène de Florent Siaud et traduction de Guillaume Corbeil, est présentée au Théâtre La Chapelle jusqu’au 6 février 2016.
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Par Nicolas Descoteaux
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