«Tragédie» d’Olivier Dubois au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts – Bible urbaine

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«Tragédie» d’Olivier Dubois au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts

«Tragédie» d’Olivier Dubois au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts

En quête de la catharsis

Publié le 2 mai 2014 par Marie-Ève Beausoleil

Crédit photo : François Stemmer

Neuf danseurs et neuf danseuses marchent sur une cadence alexandrine, émergeant de l’ombre abyssale et y retournant comme autant de mannequins sur le catwalk, mais sans ornement aucun. Ils sont nus et décidés. Ils ne se connaissent pas. Ils varient en nombre et en genre, ralentissent parfois, tournent, ou reculent dans une composition spatiale savamment calculée, mais jamais ils ne quittent les invisibles sentiers rectilignes qui guident leurs pas. Voilà en substance le premier tiers de Tragédie, qui conduit le spectateur à un état de lassitude et de divagation, avant que cette pulsation cardiaque ne se désordonne dans un grand spasme de folie.

Les corps commencent alors à chanceler et tiquer, dérivant de leur trajectoire. S’ensuivront différentes séquences chorégraphiques qui, en un crescendo imparfait, rompent avec l’ordre établi d’une manière si insistante. L’une d’entre elles les voit rouler les uns sur les autres en un enchevêtrement mouvant; une autre, exulter à l’unisson sous une lumière clignotante; une autre encore s’apparente à la foule informe et harmonieuse d’un rave. Le dernier temps consiste en une grande course circulaire avant l’apaisement et le retrait final.

La marche, unité lexicale de l’œuvre, en est également le pilier sémantique. Elle se veut le geste primordial de l’humanité, en ce qu’elle a de volontaire et de puissant. Le choix de la nudité s’avère alors essentiel pour situer cette marche non pas dans l’aliénation mécanique de la modernité pudique, mais dans l’expérience et le ressenti, vertical et conscient, du genre humain. C’est peut-être pourquoi le spectacle se prête au fantasme du retour à un être originel, purifié par la communion de la danse. Il faut par ailleurs souligner la richesse des topoï tragiques qui, au gré des interprétations, y sont évoqués en dualités insolubles: continuité et rupture, équilibre et folie, ordre et désordre, individualité et communauté, diversité et unité, immanence et transcendance.

Cette œuvre témoigne d’une vision grandiose et sans compromis de la part du chorégraphe Olivier Dubois, que l’on a décrit comme l’agitateur de la scène contemporaine française depuis la présentation de Pour tout l’or du monde… en 2006, devenu en quelque sorte son «morceau de réception». Dubois ne démontre aucune complaisance pour les danseurs, desquels il exige à la fois précision et intensité, ni pour les spectateurs, qu’il soumet à une musique de plus en plus assourdissante, voire carrément dérangeante. Paradoxalement peut-être, le principe cathartique qui structure Tragédie, ses passions débridées et pourtant si précisément rendues par le chorégraphe, renforcent un sentiment d’enfermement dans la salle de spectacle et soulignent les limites de ce que peut communiquer la représentation: il aurait fallu nous dénuder et danser nous aussi.

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