SortiesDanse
Crédit photo : Maarten Vanden Abeele
Une foule dense et curieuse attendait impatiemment la venue de la créatrice flamande et sa production The Black Piece qui était présentée en grande première en Amérique du Nord. Son œuvre lui a d’ailleurs valu le prix le plus convoité décerné aux Pays-Bas dans ce domaine, le Swan Award.
Inspirée du livre de Michel Pastoureau Noir, histoire d’une couleur, la scénographie a été pensée pour dépasser les perceptions négatives associées à cette «non-couleur», comme la peur, la mort et la souffrance, pour aborder aussi la sensualité, l’élégance et la liberté qu’elle symbolise.
L’entièreté du spectacle est conçue pour que tous les sens de l’assistance soient éveillés. Dans la noirceur, certaines sensations sont exacerbées. Le coup d’envoi a d’ailleurs été donné en direct des gradins, plongés dans l’obscurité. Dans les deux allées, on pouvait entendre des sons qui laissaient place à l’imagination. Le frottement du cuir, des objets échappés, des rires lointains, des talons qui claquent… puis une personne qui sanglote.
Privés de notre vue pour nous assurer de l’origine et de la nature exacte des sons, on devient alors esclaves des lampes de poche qui balaient l’étendue et dévoilent brièvement des objets ou des masses corporelles, sortes de clichés qui servent à confirmer ou infirmer nos sentiments.
Pour ajouter une dimension expérientielle, une caméra circule et croque sur le vif les gestes des interprètes qui se croyaient protégés des regards indiscrets. La vidéo est projetée en direct sur un écran à la manière des films en noir et blanc. Des respirations tantôt régulières, tantôt haletantes, créent une atmosphère inquiétante et hypnotique.
Des talons, des craquements, des coups de crayon et autres bruits donnent la cadence aux mouvements des cinq interprètes Louis Combeaud, Konstantinos Kranidiotis, Frauke Mariën, Nik Rajšek et Emma Seresia. La musique du compositeur Arne Van Dongen, à laquelle a été intégrée la voix de Gregory Frateur, membre du groupe de jazz-gospel Dez Mona, brouille aussi les perceptions: les danseurs, hommes ou femmes, miment à l’occasion les paroles à l’écran.
Toute la scène est exploitée du plancher, au plafond, en passant par les murs. Des jeux d’ombres sont magnifiés par le faisceau lumineux de la caméra, créant des danses animées et disproportionnées sur les parois de la salle. Et c’est bien là tout le génie de l’artiste qui réussit à susciter la curiosité et à nous faire avancer sur le bord de notre siège pour tenter de distinguer des formes dans la pénombre.
Lorsqu’on a l’impression que notre œil a accepté de ne pas tout percevoir, on est saisi d’une lumière crue sous laquelle les danseurs se déchaînent dans des chorégraphies subjectives.
Grâce aux plans rapprochés et éloignés, le spectacle donne l’occasion au public de vivre l’expérience sous tous les angles plutôt qu’uniquement de l’extérieur comme les spectacles de danse plus conventionnels.
On en ressort avec une envie folle de se replonger dans la nuit noire et de se laisser guider par nos sens primitifs plutôt par notre nerf optique qui peut nous tromper.
L'événement en photos
Par Maarten Vanden Abeele
L'avis
de la rédaction