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Crédit photo : À la une: L'oeuvre «St-Jak» (2018), vue à travers l'installation Ouroborous. Photo: Denis Farley, MBAM.
Intitulée Survivance, l’exposition de Manuel Mathieu au MBAM devient le premier solo muséal de l’artiste montréalais en Amérique du Nord. Le titre semble très proche des préoccupations de l’artiste, alors que celui-ci s’est beaucoup inspiré de deux accidents de voiture auxquels il a survécu, ainsi que des histoires de résilience du peuple haïtien dont il est originaire. Survivance tire aussi son nom de l’ouvrage La survivance des lucioles (2009) de Georges Didi-Huberman, une lecture marquante pour Mathieu.
L’essai littéraire d’Huberman a en effet inspiré l’artiste en ce qu’il lui a permis de mieux comprendre comment s’imaginer la survivance qui, pour lui, comme les lucioles, «évoque l’âme de ceux qui disparaissent ou ce qu’il reste de cette dernière».
C’est ainsi qu’on pourrait commencer à voir l’exposition: comme une manière de montrer des morceaux d’histoires vécues (ou survécues) par l’artiste lui-même ou par divers personnages, surtout Haïtiens, auxquels il a été confrontés. Ce n’est toutefois pas ce qu’on remarque en premier dans les peintures de Manuel Mathieu.
Une signature esthétique puissante et unique
En effet, ces tableaux semblent plus souvent qu’autrement abstraits à première vue. À l’exception d’une installation in situ et de trois tableaux en tissus, toutes les oeuvres présentées dans Survivance sont des peintures de grands formats très dynamiques et surprenants aux couleurs éclatantes et contrastantes.
C’est donc définitivement la recherche picturale formelle qui impressionne dans toutes les oeuvres présentées, et ce, bien avant l’aspect figuratif et narratif des peintures. Les oeuvres sont puissantes. Elles dégagent des émotions fortes, émanant principalement des couleurs qui semblent, paradoxalement, à la fois éclatantes et mélancoliques, vaporeuses et viscérales.
Une poésie forte et inexplicable se dégage de ces grands formats où, sans connaître leurs sujets, on pourrait avoir l’impression d’assister à des scènes surréalistes et fantasmagoriques, tirées de contes magiques évoquant le désir, le tiraillement, l’amour, la mélancolie ou la solitude.
Assumer ses influences, son plaisir et sa liberté
On rencontre un artiste profondément libre dans Survivance, en ce que Mathieu n’hésite pas à assumer la multiplicité des techniques, des influences et des points de vue qui convergent dans son oeuvre.
«Je ne suis pas un coloriste, » a dit Mathieu, quant à son rapport à la couleur. Ce dernier affirme plutôt entretenir une relation «intuitive» avec celle-ci, où pendant la création, il «sent», à travers les assemblages et les contrastes, «la bonne manière de faire.»
Quant à ses influences, il reconnaît qu’on l’a à maintes reprises comparé à Francis Bacon, en raison de son utilisation des couleurs et des formes, qui rappellent parfois des pièces de viande, ou qui affichent des angles droits et des lignes déchirantes. Il affirme toutefois qu’il s’en éloigne de plus en plus. «Bacon m’a beaucoup appris sur comment la peinture peut représenter le corps», dit-il, avant d’ajouter qu’aujourd’hui, sa représentation des corps relèverait plutôt de ses expériences haïtiennes.
Peindre des histoires de mysticisme et de résilience
Malgré l’apparence abstraite de ses peintures, après une observation méticuleuse, on se surprend à découvrir dans les tableaux de Manuel Mathieu certains éléments figuratifs, le plus souvent, des formes humaines racontant les histoires de personnages haïtiens.
Les sujets du peintres sont nombreux. Mathieu s’est inspiré de rites vaudou, d’une photographie d’une femme haïtienne, de sa grand-mère, de personnages mythiques en Haïti, et plus encore.
Témoigner d’une constante innovation technique
En plus des grands formats de peinture qu’on peut trouver dans Survivance, l’artiste y présente aussi, pour la première fois, une installation in situ ainsi que trois grands tableaux en tissus réalisés lors d’une prestigieuse résidence artistique à l’Académie Schloss Solitude de Stuttgart, en Allemagne.
Ce dernier a toutefois du mal à bien s’expliquer ses oeuvres. Contrairement à ses peintures, qui sont résolument plus enracinées dans son héritage personnel et dans une recherche picturale inspirée de ses études universitaires en art, son travail du tissu se présente d’abord comme un geste poétique qui parle de lui-même.
«C’est correct de faire des choses qu’on ne comprend pas encore», dit Mathieu.. Si ces oeuvres «rappellent la peau» et «s’intéressent à l’éphémérité», un sujet cher à l’artiste, elles amènent aussi les visiteurs à leur conférer leur propre sens, et à prendre connaissance de l’ampleur de la force et du mouvement que Mathieu a travaillé sur son matériau.
Ainsi, à travers Survivance, on entre non seulement en contact avec l’iconographie personnelle et les histoires marquantes de la vie de Manuel Mathieu, mais aussi avec d’éloquents témoins de sa progression en tant qu’artiste, en partant d’une oeuvre inspirée de certaines traditions de la peinture contemporaine, et en allant jusqu’à la surprise totale et la poésie dans l’expérimentation.