Sorties
Les histoires représentant des figures tragiques sont généralement porteuses en art, tout le monde le sait. Et sur ce point, Camille Claudel, ou plutôt la relation à la fois tragique et passionnée entre elle et Auguste Rodin, ne déroge pas à la règle. Mais dans le spectacle Rodin/Claudel des Grands Ballets Canadiens, la création du sculpteur et son corollaire l’œuvre, sont incarnés d’une manière exacte et indéfinissable. Les sculptures deviennent, au plus grand plaisir du spectateur, aussi centrales que les êtres déchirés dans ce ballet narratif.
Bien qu’il ne s’agisse pas d’une mise en abime, mais plutôt d’une référence directe à l’art, il est intéressant de voir une œuvre créée par des artistes dont l’histoire met au premier plan des créateurs. Il faut rappeler que plusieurs couples ont marqué l’histoire de l’art, sauf que le chorégraphe Peter Quanz ne pouvait pas mieux choisir que celui de Claudel et Rodin, qui incarne par excellence la touchante et terrible liaison entre amour et passion.
Présentée de manière chronologique, ce ballet néoclassique dégage une réelle sensualité, autant artistique que corporelle. Avec grâce, les doigts d’Auguste Rodin auscultent les œuvres de Camille dans son atelier avec un certain plaisir tactile, souhaitant lui montrer comment former et appréhender les matériaux utilisés. Les premiers ressentiments envers la sculptrice se développeront d’ailleurs de la même manière, c’est-à-dire par le bout des doigts avec les yeux bandés.
Le premier acte se poursuit alors que le sculpteur français retourne vers sa maîtresse Rose Beuret. Alors que l’artiste planche sur une œuvre colossale, La Porte de l’Enfer, un groupe d’artisans viendra se joindre à Rodin, partie un peu moins intéressante du spectacle, puisqu’elle semble en marge de l’effet recherché avec le couple et les sculptures. Il en va de même pour la scène du pique-nique organisé par les Claudel dont les invités sont Rodin et Rose. En fait, les tensions jaillissantes de cette scène sont un peu trop théâtrales; alors que les pas et les déplacements autour du socle rectangulaire (transformé en endroit pour pique-niquer) apparaissent plus forcés.
Par ailleurs, la conception d’un socle rectangulaire et longiligne, qui s’apparente à une poutre énorme, est très intéressante. Les sculpteurs peuvent la déplacer facilement et elle donne du mouvement à la mise en scène ainsi qu’aux danseurs. Cet immense objet devient un élément central sur tous les plans.
Plus rythmé et plus court aussi (36 minutes), le deuxième acte est plus accrocheur d’un point de vue esthétique. Le spectateur ressent beaucoup plus le physique des danseurs. Les personnages les plus attrayants incarnés par ceux-ci sont les sculptures. Ces dernières sont modelées par les deux artistes tout au long de la représentation; le travail des corps est alors plus perceptible. Malléables et gracieux, les membres du corps qui bouge découpent de manière plus captive les mouvements. On imagine très bien les réelles œuvres de Claudel et de Rodin s’humaniser lorsqu’on voit les danseurs en action, les muscles saillants. Le réalisme de ces sculptures dansantes, qui sont aussi réalistes lorsqu’elles sont figées, s’avère une réussite totale.
Sur le plan narratif comme scénique, la déchéance de Camille Claudel est une des parties les plus poignantes du ballet. Lorsque que la folie s’empare d’elle, scène dans laquelle elle arrive vêtue d’une robe rouge criarde et inélégante avec la chevelure hirsute, au milieu d’un vernissage, elle n’a plus de contrôle sur elle-même. L’artiste française détruit ses œuvres; les corps tombent et ornent le plancher; les membres se recroquevillent. Par la suite, on voit la faiblesse physique s’emparer de Claudel, car le corps est plus lourd et l’énergie manque. Cette lourdeur est brillamment incarnée par les mouvements de la danseuse. Il ne reste plus que l’internement. La sœur de l’homme de lettres et diplomate Paul Claudel passera près de 30 ans avec d’autres aliénés.
Au final, cette histoire qui a débuté à Paris en 1883 entre deux personnages majeurs du monde de l’art, représentée ici par les Grands Ballets Canadiens, avec le regard de Peter Quanz, mais aussi celui de l’équipe entière (scénographie, musique et éclairages), s’avère une belle réussite, malgré quelques moments moins accrocheurs.
La création de Peter Quanz «Rodin/Claudel» des Grands Ballets Canadiens est présentée jusqu’au 22 mars au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts. Pour plus d’informations et pour l’achat de billets veuillez consulter le grandsballets.com.
Appréciation: ***½
Crédit photo: John Hall
Écrit par: David Bigonnesse