«Quotient Empirique», dernière production de RUBBERBANDance

Plusieurs œuvres de danse contemporaine présentées récemment proposent un travail du micro-mouvement, du silence prolongé et de la répétition qui leur confère un pouvoir surprenant. Le spectacle Premiere de la chorégraphe Maria Hassabi, produit dans le cadre de la biennale Performa 13 à New York, consiste en une exploration des vibrations produites par des gestes ralentis, révélant les résistances du sol et de la gravité. Les duos de Jan Martens, A small guide on how to treat your life time companion et Sweat Baby Sweat, que l’on a pu voir dans le cadre de l’évènement Nederland / Nouvelles scènes des Pays-Bas à l’Usine C, font également usage de poses soutenues, de développements acrobatiques douloureusement lents et mesurés, de motions minimalistes des omoplates, qui sont cette fois contrastés avec des moments d’urgence et d’accélération frénétique. Le chorégraphe Nicolas Cantin s’est également prêté à un exercice de retenue pour Cheese, dans lequel il fait parler et bouger avec une sobriété rituelle la danseuse sexagénaire Michèle Febvre.

La monotonie est dans l’air du temps. Elle devient l’étoffe, douce ou tendue, de la création; elle parle de nous. Elle produit l’émotion là où on ne l’attend pas, après le relâchement qui suit une attention constante, une interrogation non résolue. Surtout, la danse contemporaine tente quelque chose en s’alignant davantage avec les arts vivants, la performance et le théâtre. Après tout, la possibilité (sinon l’exigence) de repousser les barrières formelles et de croiser les médias semble une donnée acquise de la création contemporaine.

Dans ce contexte, la pièce Quotient Empirique de Victor Quijada et de sa compagnie RUBBERBANDance semble ancrée dans une démarche différente. Fondée en 2002, cette troupe montréalaise a rapidement été reconnue pour son amalgame unique des danses de rues et des danses classique et contemporaine. À sa manière, donc, elle propose un vocabulaire actuel qui défie les catégories stylistiques. Or, ce qui l’anime tient davantage à une pulsion musicale et dynamique, à la jouissance du mouvement pour lui-même, et à la recherche d’un effet visuel spectaculaire qui caractérise les styles de la culture hip-hop, mais aussi, il ne faut pas l’oublier, le ballet.

Dans l’ambiance énigmatique créée par la musique du DJ Jasper Gahunia, les six danseurs, trois hommes et trois femmes, se livrent à un drame humain sans narration linéaire. En solo, ils semblent attirés vers un horizon imaginaire, ou absorbés en eux-mêmes, fascinés par une peur ou une souffrance sourde. À deux ou à plusieurs, ils s’entrechoquent et se manipulent pour former une nébuleuse intriquée, mouvante, en suspension. Nos vies ne sont-elles pas faites de ces rencontres aux répercussions et résurgences insoupçonnées nous liant imperceptiblement aux autres? On ne peut qu’admirer la virtuosité technique avec laquelle les danseurs rendent cette impression d’apesanteur et d’élasticité, qui semble parfois dominer les expressions les plus puissantes et les plus brutales, et qui constitue l’une des marques esthétiques de Victor Quijada.

On retrouve en effet une construction et une sophistication similaire dans son œuvre précédente, Gravity of Center. Cette dernière a d’ailleurs donné lieu à un court métrage, disponible en ligne, qui témoigne de l’expérience quasi cinématographique que suscitent ces chorégraphies. Avec Quotient Empirique, Quijada propose un approfondissement plutôt qu’une innovation, par un jeu de variations qui n’est pas sans produire son intensité, sa fréquence particulière. L’impressionnante réinterprétation du «pop and lock» de la danseuse Léa Ved fait partie de ces moments saillants qui mettent en valeur l’originalité de l’œuvre. Le spectacle n’est pas non plus sans surprises, avec notamment une pointe d’autodérision fort bienvenue, ainsi qu’une improvisation selon les principes du «breakdance» à la fin.

Au final, Quotient Empirique apparaîtra au spectateur certainement plus séduisant, mais moins intéressant que Sweat Baby Sweat ou Cheese. Ce ne serait toutefois pas rendre justice au premier que de sous-estimer sa portée réflexive, en lien avec les limites du corps et le pouvoir créateur des relations humaines. Quotient Empirique touche ainsi à la maturité d’un projet chorégraphique qui, espérons-le, se renouvèlera pour dépasser ses propres limites.

Le spectacle «Quotient Empirique» sera présenté à la salle Léo-Paul-Therrien de la Maison des arts Desjardins Drummondville le mardi 18 mars 2014. Cliquez ici pour acheter vos billets: www.ovation.qc.ca.