Sorties
«Soirée bénéfice» comme dans ramasser de l’argent pour continuer à faire ce qu’on aime, et «cabaret» pour avoir du plaisir et de l’agrément ensemble. Hier soir avait lieu le Cabaret d’emmerdeurs organisé par la revue d’art et politique Liberté, qui souhaitait célébrer en grand ses noces d’or avec ses lecteurs.
Le Lion d’Or, salle montréalaise tout indiquée évoquant d’emblée la volupté et l’extase, s’est fait hier soir encore plus frivole qu’à l’habitude, pour accueillir la vingtaine d’artistes et d’emmerdeurs en tout genre qui se sont succédé sur scène plus de 2 heures durant, sans entracte, sans coupure, pour un cabaret déjanté sur le thème de «l’opposition officieuse».
C’est sous la houppette du metteur en scène et auteur dramatique Olivier Keimed que les concurrents se sont adonnés avec plaisir à l’exercice du cabaret, avec les musiciens Éric Asswad à la guitare, et au saxophone Charles Papasoff. L’animateur, redingote noire et verve dégourdie, a su réchauffer la salle par ses références ironico-intello-dramatiques à la culture et la politique québécoise. Rien ni personne n’a échappé à ses commentaires incisifs, pas même, la scène qu’il occupe: «Il faut bien commencer pour finir!», a-t-il lancé avant le premier numéro.
Une grande fête pour Liberté donc, c’est d’ailleurs l’auteure Évelyne de la Chenelière, membre du comité de rédaction de la revue qui a ouvert le bal avec le comédien Alexis Martin. À eux deux, ils ont sélectionné quelques passages tirés des pages de leur gazette désormais revampée. Anne Hébert, Hubert Aquin (l’un des initiateurs de la revue), Sheila Fishman et Nancy Huston, ne sont que quelques-uns des écrivains et penseurs évoqués dans ce sobre numéro, qui évoquait tout de même toute la puissance de Liberté depuis ses débuts.
La désobéissance
Un total de 13 numéros, et le seul trait qu’ils partageaient: la désobéissance. J’oubliais, le plaisir aussi. Et parlant de désobéissance, l’ultime numéro par Dave St-Pierre avait de quoi surprendre: évoquant une hypothétique rencontre avec Stephen Harper, le danseur exécute sur scène tout ce qu’il est «interdit» de faire… ou du moins à ne pas faire, si l’on veut recevoir des subventions du fédéral. Je vous laisse imaginer la suite. Mais Dave St-Pierre réussit à nous faire rire et pleurer.
Comment ne pas évoquer «Le téléphone», monologue de Catherine Léger interprété par Ève Pressault, où une conversation téléphonique avec un inconnu dans une cabine anonyme d’Hochelaga-Maisonneuve réussit à émouvoir par sa simplicité. Un numéro où les apparences ne peuvent triompher en toutes circonstances.
Et que dire de cette réécriture de l’hymne national canadien par Christian Lapointe, et les quatre couplets complets chantés cet auteur, metteur en scène et acteur, qui ont fait rire aux larmes la salle qui ne pouvait qu’en redemander. Ou de Fabien Cloutier, et de son numéro hors norme en forme d’adresse au président de l’Assemblée nationale: «De l’importance de la suspension murale et de la symbolique de la crucifixion en temps de paix: utopie, malversation ou énémogène sociétal?». Présenté par Keimed comme «si Fred Pellerin troquait sa tisane pour du crack», Cloutier s’énerve, s’époumone, évoque l’émission «Décore ta vie», pour mieux concentrer l’absurdité du monde dans les cinq minutes alloués.
Vous l’aurez deviné, le Cabaret d’emmerdeurs était une soirée unique et corrosive à souhait. Ces emmerdeurs, ce sont vous et moi, bref tout un chacun qui ne peut se satisfaire du monde tel qu’il est à l’heure actuelle. Pour continuer cette expérience, rien de plus simple: intéressez-vous au travail de ceux qui sont montés sur la scène du Lion d’Or et faite la lecture du dernier numéro de Liberté.
Appréciation: ****1/2
Cabaret d’emmerdeurs — Numéros et lectures de:
- Alexis Martin
- Érika Soucy
- Fabien Cloutier
- Catherine Dorion
- Gary Boudreault
- Catherine Léger
- Ève Pressault
- Ianik Marcil
- Alain Farah
- Evelyne de la Chenelière
- Jérémie Niel
- Dave St-Pierre
- William S. Messier
- Christian Lapointe
- Maître de cérémonie : Olivier Keimed
Liberté ****
C’est en janvier 1959 que voyait le jour la revue d’art et de politique Liberté. À la suite de son 50e anniversaire, l’équipe a voulu donner un grand coup, et le résultat est une édition entièrement renouvelée. Pas comme si la vieille dame datait un peu, mais juste question de se faire jeune à nouveau. Avec une toute nouvelle maquette (crée par Éric de Larochellière, éditeur du Quartanier), il y aura dès à présent une longue entrevue, quatre chroniques et un cahier critique. Cela s’ajoute au «dossier» habituel, qui tiens tiens, pour ce 297e numéro, s’attarde «à l’inquiétant gouvernement» conservateur et a pour titre: Que conservent les conservateurs?
Liberté, nº 297, automne 2012, 12 $, en kiosque depuis le 16 octobre, «Que conservent les conservateurs? Et si Stephen Harper, loin d’être un conservateur, était un terrifiant avant-gardiste. Déconstruction d’une image»
Crédit photo: Revue Liberté
Écrit par: Annabelle Moreau