SortiesDanse
Crédit photo : Ursula Kauffman
Dans l’obscurité, résonne a cappella un chant dans une langue inconnue. Petit à petit, la lumière laisse deviner des corps inanimés, au sol, jonchant la scène comme autant d’épaves humaines laissées pour mortes. L’ouverture de Monument 0, poignante, n’est pourtant pas à l’image de la pièce, dont le but n’est pas d’émouvoir, mais bien d’opérer une réflexion critique sur les conflits ayant secoué le monde dans les cent dernières années.
Mettre en parallèle Histoire et Histoire de la danse, dénoncer l’impact du colonialisme occidental, invoquer les oubliés, remettre en question la mémoire collective… La complexité du travail proposé par Eszter Salamon dans Monument 0 sonne presque comme une thèse d’étude dont les multiples aspects se font échos et témoignent de la profondeur d’une problématique aussi riche que difficile à traiter. Un choix courageux.
Pour cette création, la chorégraphe hongroise (désormais basée entre Berlin et Paris) a choisi l’étude ethnologique comme angle d’attaque. Durant des mois, tels de archéologues, elle et ses danseurs ont fouillé, cherché, collecté et appris des dizaines de danses traditionnelles des quatre coins du globe. Toutes ont en commun de venir de pays touchés de conflits perpétrés par les Occidentaux et de s’inscrire dans un fonction guerrière. Toutes, aussi, se rejoignent dans la matérialisation de rythmes par le corps. Nulle autre bande sonore qu’une note continue dont le volume oscille de la sourdine au perçant, sinon celle à qui les danseurs donnent corps par la voix, la respiration, les pieds qui frappent le sol, et les mains qui battent la mesure.
En opposition avec ces danses traditionnelles, rituelles, tribales, la construction de la pièce, très académique, use du principe d’accumulation, comme un catalogue. Un à un, les danseurs se dévoilent dans des solos. Puis, entrecoupés de blacks, s’enchaînent des duos, trios, quatuors, quintettes, pour qu’enfin tous les six se dressent à l’unisson face à une audience suspendue.
Vêtus d’académiques tout droit sortis d’une école de danse moderne mais peints de symboles tribaux, ils sont les figures fantomatiques qui portent les danses que l’avènement du ballet et même le contemporain ont laissés de côté. Le blanc, qui orne leurs corps, nous montre des taches, des stigmates, mais aussi de fières ornementations qui persistent lorsque le noir se fait, comme des esprits.
Spectres inquiétants, parfois grotesques, toujours puissants, ils nous donnent à voir toute cette histoire qui ne fait pas partie de celle qu’on a choisi de nous raconter.
La quasi-totalité de la pièce se fait de manière frontale, avec une adresse claire au public. Car ces danses, à fonction guerrière, sont là pour préparer le corps, mais aussi confronter l’adversaire, l’intimider. Il y a aussi, des ces regards vibrants, comme un désir de partage, de transmission.
Le traditionnel et l’institutionnel se mêlent ainsi au profit d’un propos critique. Les peintures s’effacent peu à peu, les costumes disparaissent, et finalement les danseurs surgissent, quotidiens dans leurs vêtements de répétition. Ils n’incarnent plus, ils montrent. Dans une gestuelle pantomimesque, les voilà, comme une parade d’estropiés.
En silence, ils disposent alors une multitude de panneaux arborant des dates de conflits passés ou en cours, et dressent ainsi un cimetière glaçant. Surgit alors un danseur, travesti d’une redingote et d’un chapeau évoquant l’aristocratie. En transe, mais avec une étrange nonchalance, il envoie valser les écriteaux, les piétine, les heurte.
Ne reste alors qu’un champ de ruines et une porte grande ouverte au débat.
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Par Ursula Kauffman
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