«LOVE» de Loïc Touzé et Latifa Laâbissi aux Escales Improbables de Montréal – Bible urbaine

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«LOVE» de Loïc Touzé et Latifa Laâbissi aux Escales Improbables de Montréal

«LOVE» de Loïc Touzé et Latifa Laâbissi aux Escales Improbables de Montréal

Mimétique du cinéma

Publié le 13 septembre 2014 par Marie-Ève Beausoleil

Crédit photo : Jocelyn Cottencin

Alors que les arts de la scène exploitent tous les ressorts du présent et du vivant (de la présence), le cinéma joue sur la puissance des images et la grande liberté de leur agencement. Et si l’amalgame de ces dispositifs de représentation s’avérait possible? Art vivant jaloux de l’efficacité évocatrice de l’écran, plans d’action en mal de physicalité… Cela donne quelque chose comme «LOVE» des chorégraphes français Loïc Touzé et Latifa Laâbissi, qui était présenté pour deux soirs dans le cadre des Escales Improbables de Montréal.

Trois hommes et trois femmes habillés à l’identique entrent rituellement en scène et se positionnent debout, face aux spectateurs. Dans la lumière projetée depuis l’arrière de la salle, leurs visages peints en blanc et leurs lèvres rouge vif ressortent nettement sur le fond bleu, qui rappelle sans doute l’écran d’incrustation des plateaux de tournage. Sans crier gare, ils suffoquent tous avec force gestes d’agonie, corps tordus et bouches grandes ouvertes, avant de figer dans les poses les plus saugrenues. L’action ne dure que quelques minutes, après quoi les mimes regagnent le bas-côté de la scène avec la même attitude neutre et silencieuse du départ.

Le motif se répètera de manière rigoureuse, composant une suite de tableaux autonomes qui sont autant de fragments gestuels hors contexte. Ces fragments n’en demeurent pas moins signifiants: combats à l’épée imaginaire, joyeuses claquettes sans musique ni chaussures, course sur place pour fuir un ennemi invisible, imitation de la démarche des grands félins, boxe à l’aveugle, jeu de cache-cache en forêt…

Défiant toute narrativité dans leur éclatement aléatoire, ces bouts d’action nous renvoient à la façon dont la mise en œuvre du corps et du visage répond à des codes, des images partagées, capable de générer un sens qui dépasse largement la situation présentée. Ils se fondent ainsi sur l’art du mime –capable de faire exister, dans l’imagination du spectateur, des éléments extérieurs aux gestes – pour tisser des associations souterraines, qui sont à la fois personnelles et culturellement parlantes, comme ces scènes de bataille un peu trop faciles des films d’action hollywoodiens, ou encore ces images de la savane sur Discovery Channel.

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Bien au-delà d’un contenu faisant référence à la culture cinématographique et à une forme de jeu comique, LOVE se veut un travail conceptuel et ludique sur la manière dont l’œuvre fabrique le regard, ici dans la mimétique d’une vision qui serait celle produite par le montage cinématographique. Les diverses scènes, quoiqu’indépendantes, finissent par se répondre, créer des échos, des rappels et des contrastes qui développent un propos autoréférentiel. Par exemple, la scène des félins, rendue avec une grande précision par les acteurs, est reprise une seconde fois, mais sans vêtements. Cela conduit le spectateur à réfléchir à la façon dont ce nouvel élément modifie, subtilement ou radicalement, sa perception.

LOVE constitue au final une œuvre déconcertante qui conserve sa part d’énigmatique. Elle peut être appréciée sur des registres assez différents. D’un côté, on retrouve avec un certain plaisir enfantin bastonnades, bouffonneries, naïvetés et maladresses, persistance de situations loufoques qui confine au rire nerveux, exagérations ou euphémismes du geste. Le tout s’intègre à une structure minimaliste, déconstruite et sans repères, qui mélange les genres, nourrit une perspective critique des formes traditionnelles de la danse sous le chapeau de laquelle l’œuvre se représente, et procure une satisfaction toute intellectuelle.

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