«Les vies possibles» de Chloé Lacasse au Gesù à Coup de coeur francophone 2015

Les vies possibles n’est pas qu’un simple spectacle pour présenter les chansons de Lunes (2014) et de l’album homonyme paru en 2011. Et on l’a su dès notre entrée dans la salle du Gesù ce lundi, avec le bruit ambiant des criquets, les murs sur scène en feuilles d’automne, et les planches de bois alignées comme une passerelle, donnant une impression de patio, de cour.

«Bienvenue dans mon feuillage! Tu te disais sûrement ‘’Merde, c’est novembre, où vont toutes les feuilles?’’ Elles sont ici!», a d’ailleurs lancé l’artiste, tout sourire, après avoir ouvert le bal a capella avec «Mieux», ce qui a mis l’accent sur sa voix d’une grande sensibilité, puis «Rien pour moi» et «Écoute sans parler», toutes deux plus dynamiques grâce à leur batterie et à leurs percussions.

Tantôt derrière le piano droit qui se fond dans la passerelle, tantôt debout sur ladite structure de bois sans se cacher derrière son instrument et complètement libérée pour sauter et danser, même parfois à l’arrière pour visiter ses musiciens, Chloé Lacasse a livré toutes sortes de performances dans des numéros tous aussi différents les uns que les autres, et ce, malgré leur dénominateur commun: leur franche beauté.

C’est qu’il n’y a rien de banal ou d’anodin dans Les vies possibles. Chaque chanson du spectacle possède sa propre mise en scène, son propre univers. Si les magnifiques décors de Raymond Marius Boucher sont restés tels quels tout au long de la prestation, la configuration des musiciens dans l’espace, quant à elle, a été revue selon les performances.

On a bien sûr eu droit au traditionnel cercle autour de la chanteuse pendant «Ailleurs», qui a même permis aux quatre acolytes de s’adonner à une petite chorégraphie, mais aussi aux instrumentistes en ligne, côte à côte, Vincent Carré ayant même troqué sa batterie pour une simple grosse caisse (ce qui ne l’empêcha pas de jouer avec fougue!) durant une «Renverser la vapeur» aux sonorités presque électroniques, agrémentée de jeux de lumières colorées, nous menant tout droit dans une ambiance de discothèque.

On a aussi pu voir Marc-André Landry (basse, guitare), Vincent Carré et Karine Pion (percussions, vibraphone, guitare, voix) autour d’une planche de bois, effectuant de la podorythmie et des frappements de mains pour établir la rythmique de «Douce incertitude»; une performance tout à fait étonnante et appréciée du public. Mais quelques moments furent plus doux, comme la sensible et touchante «Le générique» en piano-voix ou encore la finale où, les trois filles (la troisième étant Geneviève Toupin) étaient assises presque «les pieds pendants au bout du quai», Chloé à la guitare pour chanter «Furnace Creek», dans une très jolie atmosphère intime.

Mais ce que les gens ont pu constater le plus, lundi soir, c’est l’authenticité et le charme de Chloé Lacasse, qui a été d’une grande générosité autant dans ses interprétations que dans ses interventions auprès du public. Très comique, elle a lancé ici un «Le jogging pis le yoga, ça règle pas tout, quand même!», essoufflée après une chanson rapide (dynamique «Le piège»), et raconté là des anecdotes au sujet du parcours atypique de son bassiste, «son préféré». Ayant même eu la générosité de lire le texte «Les vies possibles» de Lhasa de Sela en introduction à la pièce de clôture, Lacasse s’est beaucoup révélée – au travers de ses textes, bien sûr, mais aussi en partageant ce mot qui l’a touchée, interpellée, et qui a sans doute grandement teinté la création de ce spectacle.

Même si on sent parfois l’orchestration serrée (mis en scène par Benoit Landry) et qu’on se doute que chaque mouvement de l’artiste est calculé, notamment durant la chorégraphie dansée intense et très théâtrale de «Les insatiables», on n’en perçoit pas moins le bonheur et le plaisir qu’ont les musiciens et l’auteure-compositrice-interprète à être là et à faire ce qu’ils font. Chloé Lacasse n’est pas une artiste ordinaire, et s’il faut évidemment découvrir sa magnifique poésie et sa voix tout à fait envoûtante sur disque, il faut aussi s’offrir la découverte de l’artiste sur scène, dans toute la splendeur de ses nombreux univers.

Les vies possibles est un spectacle étonnant, captivant, complexe et complet, qui présente une artiste tout à fait charmante, et il ne reste qu’à souhaiter que le projet soit reconduit, puisqu’il est impossible de ne pas en ressortir sans avoir de coup de cœur, même si présenté à l’extérieur de ce festival.