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Crédit photo : Gracieuseté Agora de la danse
Le Sacre du printemps, un ballet créé à Paris en 1913 par le compositeur Igor Stravinsky et chorégraphié originellement par Vaslav Nijinski pour les Ballets russes de Serge de Diaghilev, a été repris par de nombreux chorégraphes jusqu’à ce jour. Maurice Béjart, Pina Bausch, Jean-Claude Gallotta, Angelin Preljocaj, Martha Graham, Uwe Scholz et Emanuel Gat pour ne nommer que ceux-ci.
«J’entrevis dans mon imagination le spectacle d’un grand rite sacral païen: les vieux sages, assis en cercle, et observant la danse à la mort d’une jeune fille, qu’ils sacrifient pour leur rendre propice le dieu du printemps» (Stravinsky, 1910).
Ce mercredi 12 septembre, c’était la première de la version de Roger Bernat à l’Agora de la danse à laquelle nous assistions. Rapidement, nous avons compris quelques-uns des défis que le metteur en scène s’est donné: «transformer en discours ce qui est né en mouvement»; «[…] pas de réduire la cruauté de la pièce, mais au contraire la rendre extrêmement littérale par rapport au texte chorégraphique original»; «que l’homicide à l’origine de tous les ballets devienne virtuel». C’est la version de Pina Bausch (1975) que Bernat a choisie de présenter.
Dans son œuvre, cette chorégraphe, aujourd’hui célèbre, mais à l’époque rejetée à l’opéra par un public friand de ballet classique, se distancie de la pièce originale: elle dresse face à face le groupe des femmes et celui des hommes; inaugure une esthétique proche du paysage; elle crée le mouvement avec des bras immenses, des torsions des corps, des mains qui frappent les genoux; elle travaille sur les ensembles, le chœur, les masses, en cercle élargi ou resserré, se déplaçant en masse ou en partie sur le plateau. Le récit: une Élue, désignée par le hasard et un chiffon de tissu rouge sang, sera sacrifiée.
Ce sont tous ces éléments que l’on retrouvera dans la mise en scène de Roger Bernat, mais cette fois, c’est le public, isolé des autres par une paire d’écouteurs, qui deviendra acteur et danseur, dans un rôle qui lui est attribué par le hasard – selon l’audio transmis dans ses écouteurs.
Cette version, soumise au hasard, est évidemment aussi non genrée. Enfin, elle est soumise à la volonté de chaque participant, qui pourrait décider de défier l’autorité de la voix qui commande l’action, et s’inventer un nouveau rôle. Aux fins de l’article, j’ai choisi le rôle d’observatrice – et l’ai un peu regretté.
J’ai vu des gens de tous les âges, de toutes les origines, de tous les domaines, devenir acteurs et danseurs. J’ai vu des gens très doués, puisque totalement immergés dans le jeu, d’autres plus timides, sourire discret aux lèvres. En regardant la scène, refusant d’obéir à la voix dans mes oreilles, je me suis demandé lesquels étaient de vrais acteurs, lesquels osaient inventer une nouvelle histoire, lesquels contestaient aussi l’autorité.
Puis, j’ai compris à un moment que tous n’avaient pas le même audio et que les plus convaincants étaient également surpris de leurs propres actions. J’ai découvert un espace où chacun pouvait jouer son rôle, libre du jugement des autres, car personne ne savait ce que lui seul entendait.
Vers la fin de la pièce, d’une durée de 45 minutes, j’ai vu des gens courir à toute vitesse, avoir chaud, se toucher, se regarder, s’enlacer. Quand les projecteurs se sont éteints, après que les applaudissements se soient tus, j’ai entendu, tout autour de la scène des rires vrais et libérateurs. Alors j’ai su que c’était réussi et j’ai regretté de ne pas l’avoir vécu.
Cette représentation résonne parfaitement avec le slogan «Libère ton esprit, laisse-toi porter, vis la danse» pour la saison automne 2018 de l’Agora de la danse.
Il serait superbe que ce type d’évènement soit organisé gratuitement, en extérieur, pour que le plus de gens possible puissent l’expérimenter et l’observer!
«Le Sacre du printemps» en 11 photos
Par Gracieuseté Agora de la danse
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