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Crédit photo : Ewa Krasucka
Le conte de fées relate les péripéties de la jolie princesse Odette, à qui un sorcier jeta un sortilège: le jour, elle était un cygne blanc, et la nuit, elle reprenait sa forme humaine. Le prince Siegfried, pressé de se marier, la rencontre par hasard aux abords d’un lac. Il tombe amoureux d’elle, amenuisant ainsi le sortilège. Cependant, il doit la marier pour que celui-ci s’estompe complètement. Le prince souhaite alors demander sa main lors d’un bal.
Astucieux, le sorcier se présente au bal avec sa fille Odile, qui est le sosie de la soupirante de Siegfried, à l’exception qu’elle est le cygne noir. Le subterfuge fonctionne à merveille et le prince demande Odile en mariage, croyant que c’était Odette. La pauvre princesse apparait au moment du mariage, mais il est trop tard… À cause du maléfice, le prince condamne sa bien-aimée en professant son amour à une autre.
L’intrigue se déroule à la Cour impériale russe du XIXe siècle, moment où Alexandre III est tsar. Celui-ci, désapprouvant les sentiments de son fils Nicholas à l’égard de la princesse Alix de Hesse, lui présenta la ballerine polonaise de renom Mathilde Kschessinska. Ce dernier s’éprit de la danseuse et était même prêt à renoncer au trône pour l’épouser. Son amour pour Alix ne s’était pas complètement dissipé et il la préféra à Mathilde. Ou peut-être était-ce une décision politique…
C’est ainsi qu’Alix, dans l’imaginaire de Pastor, prend les traits d’Odette, tandis que Mathilde est le reflet d’Odile. Il s’agit d’un ballet de type classique qui s’inscrit dans la tradition des Grands Ballets. Cependant, on remarque l’effort du chorégraphe de donner à tous une chance plus ou moins équivalente de briller, certains personnages secondaires offrent de beaux solos qui ont ravi le public.
Le jeu des ballerines et des ballerins est réussi et nous permet de comprendre l’histoire avec une facilité incroyable; il y a peu de place à une interprétation nébuleuse.
Le premier acte est légèrement ennuyeux si on le compare au deuxième acte et au troisième acte. Après une introduction des deux tourtereaux, alors enfants, où Alix, une princesse rêveuse, offre son jouet préféré, un cygne, à Nicholas, nous comprenons la part onirique et féérique de ce ballet, mais aussi la prémisse: le tsar s’oppose violemment à cette relation. Quelques années plus tard, réalisant que son fils n’a pas oublié son amour de jeunesse, il manigance afin de le dissuader de l’épouser.
À cette fin, il lui présente la talentueuse ballerine Mathilde et son amie Olga. Nous assistons à un pas de trois plutôt fluide et naturel. Ce segment fut très apprécié par l’auditoire, bien que la danseuse qui interprète Mathilde soit tombée. Très professionnelle, elle se releva et continua sans perdre sa concentration. Par contre, c’est le père de Mathilde qui vole la vedette pendant ce numéro.
Le prince remarque la jolie danseuse. Pourtant, son cœur appartient toujours à Alix, à qui il n’a cessé de penser. La princesse, qui n’avait pas oublié son amoureux, lui offre, par le biais de ses domestiques, un livre racontant l’histoire de cygnes enchantés ainsi que son portrait. Le tsar juge cette preuve d’affection inappropriée et, surtout, précoce. Sa réaction est sans équivoque, ce qui chagrine Nicholas.
Son entourage tente de lui changer les idées, mais sans succès. Les gardes, de connivence avec le tsar, organisent un bal; Mathilde et Olga sont conviées. Ce stratagème est presque une réussite, les yeux de Nicholas se posent enfin sur la ballerine. Celle-ci, rusée, comprend que l’esprit du prince vagabonde. Ses rêveries sont parfaitement bien illustrées grâce à la scène des cygnes blancs (plusieurs pointes rapides).
Le pas de quatre, superbement bien rendu par les quatre cygnes blancs, était épatant. Mathilde subtilise le livre de Nicholas et saisit l’emprise du récit et d’Alix sur ce dernier. Elle risque le tout pour le tout et devient Odile, le cygne noir. Malheureusement pour elle, le tsar, mourant, permet l’union d’Alix et du tsarévitch.
Cette scène, particulièrement dramatique, est l’un des moments prenants de ce ballet. Mais c’est la scène où Nicholas rompt avec Mathilde qui est, sans contredit, la plus majestueuse. Par la suite, des noces aux allures grandioses eurent lieu, mais ce dernier segment se déroula trop rapidement, nous laissant sur notre faim.
Ce spectacle est impressionnant par moments, mais présente tout de même quelques faiblesses. La troupe du Ballet national de Pologne a su tirer son épingle du jeu, malgré quelques hésitations et pas ratés. Les bras bougeaient avec beaucoup de liberté et légèreté, ce qui ajouta au caractère romantique de cette pièce. Il y a eu des moments où les jambes du danseur qui joue le rôle du tsarévitch tremblaient, mais cela n’enlève rien à son talent ni à sa force d’exécution.
La ballerine qui personnifie Alix, pour sa part, avait un jeu très convaincant et romantique, mais manquait de vigueur dans ses mouvements. Celle qui incarne Mathilde fut, pendant certains tableaux, davantage absorbée par l’aspect technique de la chorégraphie et semblait détachée de son personnage. La foule réunie à la Place des Arts lui pardonna cet écart, excitée par ses pas complexes. La scène d’adieu entre le Nicholas et la ballerine est spécialement époustouflante.
La musique de Tchaïkovsk est interprétée avec passion et constance par l’Orchestre des Grands Ballets, mené avec rigueur par Oleksiy Baklan, il a su ponctuer avec brio les instants les plus émouvants du ballet, permettant à l’auditoire d’être pleinement immergé dans ce récit aux images très fortes.
Cependant, les décors et les costumes n’étaient pas des plus mémorables. La scénographe et conceptrice de costumes Luisa Spinatelli a préféré des décors sobres; ceux-ci ajoutaient peu à l’intrigue ou échouaient à créer une atmosphère plus féérique ou princière. À l’exception de la tente où dort Nicholas, de la coque du navire du tsar et de quelques troncs d’arbre, le décor est souvent une toile simpliste aux tons mornes pour indiquer le lieu. Il était cependant facile d’identifier les différents tableaux, mais un peu de magie aurait mieux complété la chorégraphie.
Certains costumes étaient clichés ou clinquants, sans véritable lustre. De plus, les tutus des ballerines étaient (à l’exception des habits des cygnes) trop longs et bouffants, il était difficile de déceler l’amplitude de la flexibilité ou de la technique, ce qui est dommage.
«Le Lac de cygnes» à la Place des Arts en images
Par Ewa Krasucka
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