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Crédit photo : Denis Alix
Arrivé d’un pas assuré sur scène, veston ouvert, grandes lunettes noires collées sur le nez (celles qu’il semble avoir d’ailleurs conservé depuis 1977!) et coiffé de ce chapeau qui fait sa marque, Costello a laissé entendre un «bonsoir» affirmé, avant d’embrasser promptement, presque comme un jeune punk rocker, son concert. Il entonnait en tout premier lieu «Jack of All Parades» (King of America, 1985).
Extrêmement minimaliste, le décor était uniquement constitué de deux panneaux lumineux placés de part et d’autre de la scène. On pouvait lire sur ces écriteaux éclairés On Air, sur un fond rectangulaire vert, et Detour, sur une flèche unidirectionnel rouge. La scène qui accueille l’OSM étalait aussi, comme dans une vitrine de magasin d’instruments, les sept guitares du mari de Diana Krall (la chanteuse jazz se produisait également à la Place des Festivals hier soir dans le cadre du Festival international de Jazz de Montréal).
Lorsqu’il apostrophait les six cordes de sa guitare folk, et que son visage s’empourprait d’intensité, Elvis Costello semblait avoir vingt ans à nouveau. Dans de grands gestes, comme à la fin de «45» (When I Was Cruel, 2002), il paraissait relâcher une bête intérieure, difficile à dompter. Il réussissait parfaitement à nous faire oublier cette 60e chandelle qu’il soufflera en août prochain. Il mâchait allègrement sa chique de gomme entre les chansons, rassemblant en concentré toutes les qualités du gars cool qu’on a envie d’imiter.
Le Chanteur qui excelle dans l’art d’écrire – véritable Bob Dylan de sa génération, se plaisait à briser ses harmonies, non seulement à l’aide de sa guitare, mais en jouant sur l’intensité de son timbre. Même au milieu de ses ballades, sur «Either Side of the Same Town» (Delivery Man, 2004), venue en troisième, son baryton montaient et descendaient, filant à vive allure puis ralentissant brusquement, tels les wagons d’une montagne russe.
Cette expressivité à la fois spontanée et exacerbée de Costello avait de l’emprise sur le public. Un vrai de vrai artiste, se disait-on intérieurement (parce qu’en vérité la foule n’aurait pu être plus concentrée et bouche bée).
Avant d’entamer «Veronica» (Spike 1989), celui qui a volé son nom au King s’est mis à raconter une première histoire de jeunesse. Éblouissante rencontre tout à coup, on découvrait l’homme sans prétention qu’il est, à l’humour typiquement britannique. Les entretiens allaient se renouveler tout au long de la soirée, à la grande satisfaction de son auditoire qui restait confortablement confinée dans son siège.
Interprétée avec brio et subtilité, «New Amsterdam» (Get Happy!!, 1980) s’est vu entrecoupé par le refrain de la célèbre «You’ve Got to Hide your Love Away» des Beatles (Help!, 1965).
Malgré un défaut de volume de sa guitare, «Everyday I Write the Book» (Punch the Clock, 1983) a constitué une interlude complice entre le chanteur et son public. En tenant son instrument bien haut, collé sur le micro, Costello est demeuré sympathique et a tiré profit de la situation, saisissant l’occasion pour entraîner la foule avec lui dans des effets vocaux d’échos, reculés de l’amplificateur de son, le tout résonnant agréablement jusqu’à nos tympans.
C’est ensuite qu’André Ménard lui a décerné sa prestigieuse statuette, le Montreal Jazz Festival Spirit Award. Comme l’a rappelé le cofondateur et directeur artistique du Festival, le trophée est remis annuellement à un artiste qui a su oser et réaliser de grandes choses en musique. Nul doute que Costello méritait ce prix, alors qu’il cumule près de trente années de carrière, une vingtaine d’albums en son nom, de même que des dizaines et des dizaines de collaborations notoires! Le chanteur se trouvait visiblement touché et la salle, maintenant debout, acclamait Costello. Les fans s’enorgueillissaient sûrement d’être les témoins de ce moment unique.
Après avoir entendu «The Comedians» (Goodbye Cruel World, 1984) et «Waving the White Flag» (1975), entre autres, deux singles de My Aim Is True, furent à l’honneur: «Watching the Detectives» et «Alison». Ces hits ont eu l’effet d’animer les spectateurs: enfin on osait se trémousser sur son siège et taper des mains.
En rappel, ce sont cinq chansons que Costello a offert comme des cadeaux emballés avec soin. À tour de rôle, «Come the Meantimes», «Shipbuilding», «The Last Year of My Youth» (This Year’s Model, 1978) et «What’s so Funny about Love, Peace and Understanding» ont été délivrées. Puis en guise de finale l’artiste, dont la palette musicale est aussi diversifiée qu’un cercle chromatique, a refermé la boucle a capella avec «Jimmie Standing in the Rain» (National Ransom, 2010). La salle lui préparait sans surprise une chaude ovation.
Le concert de 90 minutes aura filé comme une étoile: unique, splendide et éphémère. Elvis Costello a finalement montré qu’un spectacle étonnant n’a point besoin d’artifices pour les yeux. Des guitares sur lesquelles se défouler et des histoires racontées avec beaucoup de cœur, voilà peut-être la meilleure des recettes. Mille bravos, Monsieur Costello.
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de la rédaction