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Crédit photo : Marianna Frandsen, Frédéric Chais et Nathalie Duhaime
The only reason I exist is you, also: why dogs are successful on stage? de Maria Kefirova
La chorégraphe ouvre la pièce en proposant aux spectateurs de relaxer, de respirer. Prendre un temps pour se situer dans l’espace, par rapport à la salle, comme une inclusion dans le spectacle, malgré un espace scénique défini.
Derrière un écran installé sur le devant de la scène, il y a à la fois l’inconnu et le cœur de la dramaturgie de la pièce. Tout semble s’y jouer. À gauche de cet écran trône un fauteuil rouge. Maria Kefirova, accompagnée de Karen Fennell, Sara Hanley et Kelly Keenan propose ici une expérience, voire une invitation à accéder à quelque chose qui sera connu des seules personnes qui font le choix de s’asseoir sur le fauteuil rouge.
Le ou la volontaire, dont le visage est retransmis en gros plan, devient, une fois installé, le lien entre le spectacle qui lui est adressé, et les spectateurs restés dans leurs sièges.
Des sons proviennent depuis l’autre côté (bruits d’oiseaux enfermés dans des boîtes, batterie, etc.), des danseuses apparaissent furtivement, discrètement. Toutes semblent impliquées dans des actions qui leur sont propres; pourtant, elles sont liées par leurs intentions tournées vers le spectateur assis, et par leur plein engagement, sans artifice, dans ce qu’elles proposent. Mais le centre de l’attention, ce sont les yeux, les expressions de celui ou de celle qui reçoit. On entre alors dans une autre perception du spectacle: on l’appréhende à travers les yeux de la personne à qui il est adressé.
Pour qui choisit de s’asseoir, quelque chose se joue dans le fait d’être seul témoin de ce que les autres ne peuvent que deviner. Une certaine intimité s’installe: entre les performeuses et la personne dans le fauteuil, puisque tout lui est adressé, et dans les gradins où l’on peut observer à loisir un visage filmé si proche qu’on peut en lire toute la palette d’émotions qu’il donne à voir. Il ou elle devient à la fois le témoin qui assiste aux actes posés, et le témoin qui atteste de ce qui se passe aux autres spectateurs.
Convoquer la danse d’une autre manière
Après un entracte, la deuxième partie présente deux autres pièces qui s’entremêlent.
Dans Pavlov morceaux de Natacha Filiatrault, David Strasbourg, interprète haut en couleur d’un chauffeur de salle et animateur de variétés, invite l’audience à prendre part au spectacle et se livre à une remise en question du quatrième mur. Vous savez, ce quatrième mur imaginaire qui est érigé entre les spectateurs et la scène et qui permet à ceux-ci de ne pas être impliqués personnellement dans ce qui se joue, comme si tout se déroulait sans que personne n’y assiste? Jouant le jeu de l’«entertain» grand public, cette pièce questionne les codes de comportements des spectateurs et le rôle que ceux-ci peuvent avoir à jouer.
Exubérant, enthousiaste, David Strasbourg nous tient en haleine et campe son personnage à merveille. Une autre préoccupation du milieu de la danse surgit sur la table des festivités: à quoi s’attend-on quand on va voir de la danse contemporaine? Qui va voir de la danse contemporaine? Peut-être que réside ici un paradoxe de la pièce: celle-ci bouscule les codes, questionne la représentation, mais dresse le constat que la plupart des personnes présentes dans la salle sont elles-mêmes issues du milieu de la danse contemporaine et donc déjà concernées par ces questions. Le tout en insérant quelques «privates jokes» de danseurs et en moquant les clichés. Cependant, le jeu de l’animateur qui chauffe la salle à son gré, balancé dans la dernière partie par une danse en quête de reconnaissance, remet les choses en perspectives et ouvre des portes de réflexion.
Intelligemment superposés, les extraits de Pavlov donnent la réplique à deux «chroniques» de Radio Danses de Gaétan Leboeuf.
Sur scène, une installation, sorte d’hybride entre un poste de télévision, et une sculpture abstraite. Les rideaux de l’étrange structure s’ouvrent, et les lumières se ferment. On est alors plongé dans une ambiance sonore très évocatrice, et bercé par la voix vibrante de Danièle Panneton. Celle-ci relate, avec la manière et l’enthousiasme d’un commentateur sportif en direct à la radio, deux pièces de danse fictives, mais dans lesquelles figurent les noms d’interprètes phares et bien connus de la scène contemporaine montréalaise.
Des gestes virtuoses, des actes déconcertants, des moments de contemplation sont évoqués. Parfois complètement improbables et absurdes, délirantes mêmes, ces deux «Allégories chorégraphiques» prennent vie grâce à la poésie des mots de Gaétan Leboeuf et l’interprétation vivante de Danièle Panneton.
Ouvrir «des chapitres dans l’histoire des arts relationnels»
Avec cette soirée encore une fois passionnante, Tangente ouvre d’autres perspectives de relation spectateurs-artistes. La volonté de prendre contact avec le public et de lui permettre de s’impliquer et de s’approprier le spectacle, très présente sur les scènes contemporaines, s’inscrit dans trois propositions engagées et s’avère réussie.
Une expérience à voir, à vivre, à entendre et à partager.
L'événement en photos
Par Marianna Frandsen, Frédéric Chais et Nathalie Duhaime
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