Dans les coulisses de la 49e édition du Festival d’été de Québec (FEQ) – Bible urbaine

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Dans les coulisses de la 49e édition du Festival d’été de Québec (FEQ)

Dans les coulisses de la 49e édition du Festival d’été de Québec (FEQ)

Entrevue avec Louis Bellavance, directeur de la programmation

Publié le 3 juin 2016 par Alice Côté Dupuis

Crédit photo : Renaud Philippe

Onze jours de festival en plein mois de juillet et plus de 250 spectacles répartis sur une dizaine de scènes autant intérieures qu’extérieures: voilà la réalité avec laquelle les organisateurs du Festival d’été de Québec doivent composer année après année. Mais comment arriver à choisir les meilleurs artistes et à décider du bon endroit où les faire performer afin d’offrir aux festivaliers la meilleure expérience qui soit? Pour tout découvrir des coulisses du FEQ, nous nous sommes entretenus avec Louis Bellavance, le directeur de la programmation du festival. C’est lui, le vrai négociateur.

«Si on avait un mot pour dire c’est quoi cette job-là, on pourrait appeler ça des négociateurs musicaux, parce que ce qu’on fait, c’est de toujours, toujours essayer d’établir la valeur d’un artiste et d’essayer de l’avoir pour le mieux», nous confie d’emblée Louis Bellavance, qui ne cache pas son principal objectif: faire déplacer les foules. Pour ce faire, il faut bien connaître sa clientèle et comprendre sa façon de consommer le festival. Par exemple, avec les années, le programmateur a compris qu’il ne faut pas prévoir plus de trois soirs de rock sur les Plaines d’Abraham, parce que cette clientèle-là finit par s’essouffler et ne plus suivre. «Rendu au quatrième soir, les foules qu’on attire là sont beaucoup moins importantes que ce qu’on aurait fait si on avait eu un soir de moins. Donc, il faut analyser, décortiquer et prendre des décisions en fonction de ça

Mais c’est avec l’expérience qu’il a accumulée que ce diplômé en administration a pu faire de tels constats. Celui qui baigne dans la musique depuis l’enfance et qui se souvient d’avoir acheté des vinyles même à l’école primaire est réaliste: il ne suffit pas d’aimer la musique pour effectuer un tel boulot; il s’agit avant tout d’un travail de gestionnaire, qui implique de la comptabilité, de la finance, de la fiscalité, du marketing et de la gestion des ressources humaines. «Il y a plein, plein de monde qui l’a, le bagage en musique. Partout, dans tous nos amis autour de nous, on les connaît les tripeux de musique. Il y en a une montagne et c’est merveilleux, c’est bien qu’il y en ait plein. Mais après ça, ça prend des tripeux de musique qui sont capables de mettre une distance par rapport à leur passion et leur amour de la musique et des artistes pour devenir des gestionnaires

Car c’est bien ce qu’il faut faire pour mettre sur pied une programmation de 200 à 300 spectacles: oublier ses propres goûts musicaux et penser à ceux de sa clientèle, celle qui fera en sorte que le festival sera un succès ou un échec. «C’est le public qui décide quelque part. Nous, ce n’est pas un power trip notre affaire; on est là pour avoir du succès et pour garantir notre succès, ce sont les gens qui nous disent ce qu’ils ont envie d’entendre.» Mais pour bien répondre aux demandes et aux envies du public, Louis Bellavance et son équipe doivent constamment être à l’affût: «Je ne peux pas rester accroché à la musique que moi j’écoutais au secondaire ou à l’université; ça évolue extrêmement vite. Dans trois mois, je vais avoir un artiste dont je n’ai jamais entendu parler qui va devenir une priorité pour le festival l’année prochaine. Donc il ne faut jamais s’arrêter, il faut toujours continuer, consommer de la musique, consommer des spectacles et lire beaucoup, réseauter beaucoup.»

Concevoir la grille de programmation

Ce que Louis Bellavance préfère dans ses multiples tâches, c’est l’organisation de la grille de programmation, car «c’est là où il y a le plus de direction artistique. Assembler ces soirées-là et se mettre dans la peau du festivalier qui veut vivre une expérience, qui veut que ce soit une soirée magique, c’est ce que je préfère dans ma job». Mais sa façon de construire la grille pour répondre aux envies du public n’est pas exactement comme on pourrait se l’imaginer. Bien sûr, c’était une réussite grandiose que d’avoir les Rolling Stones sur les Plaines – «c’est quelque chose qui arrive une fois dans une vie» -, et aussi d’avoir des groupes comme les Foo Fighters, qui inscrivent carrément la ville de Québec dans leur itinéraire de tournée, ou comme Billy Joël qui sortent très peu des États-Unis, mais ce ne sont pas les gros noms que le programmateur recherche en premier lieu.

«Moi, je ne travaille pas en termes de noms, je travaille en termes de genres et de profils d’artistes. Donc, quand je termine un festival, après l’évènement, on évalue ce qu’on a fait, et je refais tout de suite une grille fantôme pour l’année d’après.» Dans cette grille, il place donc des genres, en se disant, par exemple, qu’il devrait faire un spectacle de rock de moins sur les Plaines l’an prochain, ou peut-être ramener un gros spectacle de country, comme ça avait bien fonctionné l’année d’avant, ou encore être un petit peu plus world à la Place D’Youville. «Et là, je refais ma pondération en nombre de spectacles de chaque genre. Je me dis, par exemple ‘‘L’Impérial, ça va être trois indie, deux francos, un punk, un hip-hop francophone’’, et je fais ça pour chacune des scènes, et je les place en opposition. Ça, c’est en fonction des résultats qu’on a

Ce n’est qu’une fois sa grille bien remplie, bien balancée et calibrée que Louis Bellavance peut se mettre à trouver des noms, petits ou grands, afin de remplir chacune des cases. Mais pas à n’importe quel prix: «Si je me cherche un artiste en classic rock, je vais sortir les noms pertinents par rapport à ça, mais je ne cours pas après les têtes d’affiche pour une tête d’affiche; il faut qu’elle me rende service. Si je cours après une tête d’affiche en métal et que je ne trouve pas, je ne vais pas la remplacer par de la pop. Je cherche jusqu’à ce que je trouve, et je ne déroge jamais de ça

Mais après avoir trouvé un artiste qu’on souhaite programmer, encore faut-il arriver à s’entendre sur tous les paramètres: «Il y a une grosse question de timing dans cette industrie-là, particulièrement dans le monde du festival, parce que nous, on opère à date fixe, mais les artistes ne tournent pas à date fixe; ils se promènent partout.» Il faut donc arriver à synchroniser la venue d’un artiste en Amérique du Nord – dans l’Est de l’Amérique du Nord, plus précisément -, au mois de juillet, ce qui n’est pas toujours une mince affaire. «On travaille toujours sur un cycle de 2 à 3 festivals en même temps, parce qu’il y a des artistes avec qui on va être en démarches pendant 2, 3, 4 ans. C’est peut-être la 5e offre qu’on fait à un artiste, à un moment donné, qui va être la bonne

Cette année, le synchronisme était bon pour les Red Hot Chili Peppers, qui ont un nouvel album à faire paraître bientôt, et qui étaient disponibles pour l’Amérique du Nord cet été. «Alors on saute dessus! Mais c’est un groupe que si on avait pu le faire n’importe quand dans les dix dernières années, on l’aurait fait!», avoue Louis Bellavance, qui souhaiterait aussi réussir à programmer des artistes comme Eminem ou Coldplay à son festival.

Les fameuses Plaines d’Abraham

Ces derniers sauraient aisément attirer les foules et remplir les Plaines d’Abraham, mais ce n’est pas donné à tout le monde. C’est plutôt un grand casse-tête que celui de trouver des têtes d’affiche à présenter sur cette immense scène pour laquelle les artistes doivent souvent créer une toute nouvelle mise en scène adaptée, et le programmateur avoue que plusieurs chanteurs québécois refusent catégoriquement de s’y risquer. «Il faut être capable de gérer une foule de 30, 40, 50 000 personnes. Les artistes qui ne peuvent pas faire ça, ce n’est pas leur rendre service que de les mettre là. On parle d’une capacité de 4-5 arénas!»

«Les proportions sont tellement surréelles, ici, je pense que les gens ne réalisent pas, mais ces sites-là sont très grands et ce ne sont pas des paramètres ordinaires. Parce que s’il y 12 000 personnes sur les Plaines; 12 000 c’est magnifique dans n’importe quel festival au Québec, tandis que 12 000 personnes sur les Plaines, c’est triste à mourir et les gros titres dans les journaux le lendemain c’est ‘’Un échec!’’. Un Centre Bell plein, c’est 12 000 personnes! Un Centre Vidéotron plein, ils annoncent ça à 11 000-11 500. Ça c’est la capacité du Parc de la Francophonie, à peu de choses près. Alors il faut remettre tout ça en perspective.»

Un artiste qui a déjà performé sur les Plaines d’Abraham peut aussi se voir offrir une autre scène, forcément plus petite, l’année suivante. «On a fait Vincent Vallières sur les Plaines, l’année d’après on l’a fait en solo à l’Impérial, l’année d’après on l’a ramené full band au Parc de la Francophonie, et ça s’est toujours bien passé à chaque place. On veut se promener entre les scènes, on veut que les artistes vivent différentes expériences. On veut qu’ils retournent à l’Impérial à un moment donné faire une salle pleine, parce que c’est le fun, parce que c’est une autre expérience.»

Décider sur quelle scène chaque artiste jouera est un joyeux casse-tête, une science imparfaite basée sur beaucoup d’instinct et quelques statistiques de ventes de billets dans un certain marché, afin d’établir la valeur de l’artiste, les probabilités qu’il vende un certain nombre de billets en comparaison avec la capacité des salles, tout en s’assurant qu’il s’agit d’un bon investissement pour le festival et qu’il aura un bon rendement. Parce que Louis Bellavance y reviendra: pour être directeur de la programmation de l’un des trois plus grands festivals musicaux en Amérique du Nord, «il ne faut pas négliger l’aspect gestion; je pense que c’est important de ne jamais devenir groupie, de toujours rester objectif. Ce n’est pas parce que je n’aime pas ça que ce n’est pas bon, et ce n’est pas parce que j’aime ça que c’est bon!» Il faut donc garder la tête froide pour être un «acheteur de talents»; et c’est aussi la plus grande qualité pour être un bon négociateur.

Le Festival d’été de Québec se tiendra du 7 au 17 juillet 2016. Tous les détails de la programmation se trouvent sur le site web du festival.

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