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Crédit photo : Denis Alix
C’est progressivement, dans une atmosphère singulière de musique électro-post-rock, soutenu par cinq courts métrages esthétiquement remarquables du réalisateur Alan Vollock, que Daniel Lanois a installé sa présence scénique à la Salle Wilfrid-Pelletier. Cette présence, elle se devait d’être assise confortablement: elle allait en effet durer près de deux heures trente. Le Canadien français d’origine, qui a eu pour mentor Brian Eno et qui a produit des albums marquants de plusieurs grands noms de la musique (U2, Peter Gabriel, Bob Dylan, Willie Nelson), a choisi cette présentation originale pour lever le voile sur son nouveau matériel. Celui-ci, essentiellement instrumental, figurera sur l’album The End à paraître au mois d’octobre prochain.
Les effets visuels, les images réfléchies et dédoublées qui fusionnaient, sensationnelles et mystérieuses, se révélaient en symbiose avec la musique aérienne et technologique. L’univers artistique contemporain et l’expérience auditive magistrale se situaient à mille lieux de ce qui allait suivre: un registre résolument terre à terre, ancré dans le soul, le folk et le country rock. Cette recherche constante de perfectionnement technique et d’innovation sonore, la «marque de commerce» de Daniel Lanois, se confirmait une fois de plus après toutes ces années de carrière.
Aucun musicien ne s’était encore pointé le bout du nez sur la scène après quinze minutes. Mais, on y trouvait déjà tout son compte. Avec cette introduction aussi frissonnante que jouissive, on était patient. Puis, sans qu’on ne s’en aperçoive, Lanois était là, debout, vêtu d’une veste de cuir noir qui lui conférait un look jeune et d’un chapeau américain qui lui cachait une bonne partie du front. Derrière sa pedal steel, il avait subtilement remplacé la bande musicale passante, en même temps qu’Alan Vollock transmettait désormais en direct des plans rapprochés, en noir et blanc, des mains de Lanois qui glissaient, frottaient et frappaient les cordes. Il allait ainsi filmer tout le concert, aux premières loges, sur la scène même.
Le batteur reconnu Brian Blade est ensuite apparu pour s’installer derrière son instrument. La finesse et l’exactitude de ses petits coups de bâton de bois qui heurtaient les caisses témoignaient de son expertise. Le bassiste Jim Wilson a tôt fait de rejoindre le duo de musiciens accomplis. Suivant les deux compositions instrumentales profondément folk joués par les trois membres, plus personne n’ignorait qu’il avait été convié à un rendez-vous unique.
«Fire», qui figurerait sur Shine (2003), fut le premier morceau reconnu par le public attentif. Puis Lanois a annoncé vouloir être véritablement en phase avec l’esprit du jazz. Le mot d’ordre de la soirée était lancé: «continuons de passer le flambeau de ceux qui ont brisé les règles en musique, soyons aventureux et improvisons aussi».
Lorsque la jeune artiste de 27 ans, Trixie Whitley, a fait son entrée, le public s’est agité en poussant quelques cris de satisfaction. Black Dub se retrouvait maintenant sur scène en entamant «Nomad». La pétillante chanteuse dégageait candeur et désinvolture, surtout lorsqu’elle s’est assise auprès de Blade à la batterie, et qu’ils ont, à deux, modulé le rythme.
Puis ce fut au tour de l’enveloppante et légèrement ténébreuse «Surely» de se tailler la belle place. Une vitrine stellaire pour le contralto puissant et rempli d’âme de Whitley, surtout lorsqu’elle répétait «You Were Meant to be Mine». Le public était silencieux, concentré, mais pas moins touché et impressionné par la portée de Whitley. La formation nous a ensuite plongés au cœur de la Louisianne en interprétant «Last Time». Whitley s’en retournait dans les coulisses ensuite, après une franche et amicale accolade du compositeur qui n’a jamais froid aux yeux.
Étant donné que Lanois renouait avec ses racines en se produisant à Montréal, on allait bien sûr se délecter de son délicieux accent tandis qu’il allait s’exprimer en français sur «O Marie», «Jolie Louise» et «Under the Stormy Sky». C’est par ailleurs sur l’album de 1989 qu’il allait piger le plus gros de son répertoire hier soir.
Lorsque Emmylou Harris est sortie des coulisses après «Still Water», le public l’acclamait. Les cris et applaudissements fusaient de toutes parts. Lanois et la chanteuse américaine ont d’abord interprété ensemble la lisse «May This Be Love» de l’album Wrecking Ball (1996) produite par Lanois lui-même et pour laquelle la chanteuse avait remporté un Grammy. Mais, «Orphan Girl» a davantage séduit la foule, si on en jugeait la rumeur à la fin de l’extrait.
L’interprétation de «Lost Onto this World» constituait ce bref instant de pure magie qu’on attendait. Les harmonies douces et romantiques dressaient le poil sur nos bras. La salle au grand complet ne disait mot ni ne remuait. Ce fut encore plus vrai quand la délicate et acoustique «Calling My Children Home» a pris vie.
Le concert s’est éteint avec «The Maker», après une finale interminable où les musiciens, Whitley comprise, n’ont pas hésité de jammer. La foule s’est levée unanime pour une ovation. En rappel, elle s’est même fait entendre en demandant à Lanois d’interpréter le hit d’Emmylou Harris, «Wrecking Ball». La dame adorée de son public est revenue sur scène pour ce beau moment de conclusion, la fermeture de ce long chapitre musical auquel on n’aura absolument aucun remord d’avoir participé.
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de la rédaction