«Ciel et cendres» de Lucie Grégoire – Bible urbaine

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«Ciel et cendres» de Lucie Grégoire

«Ciel et cendres» de Lucie Grégoire

Une danse d'inspiration chamanique

Publié le 16 mai 2014 par Marie-Ève Beausoleil

Crédit photo : Michael Slobodian

Lucie Grégoire propose avec Ciel et Cendres un solo sur la métamorphose corporelle et psychologique dont les êtres humains sont capables, ou à laquelle ils sont inexorablement soumis. Ces deux dimensions ne font qu’une dans la danse expressive de Grégoire, qui balance entre des états de force et de doute, de présence agissante sur le monde et d’introspection.

La chorégraphe et interprète montréalaise de 59 ans s’est démarquée tout au long de sa carrière par une recherche personnelle qui l’a conduite à visiter de nombreux pays et à forger sa création artistique dans le creuset des cultures, des formes et des rencontres. Ciel et Cendres ne fait pas exception, en puisant une partie de son ambiance et de sa gestuelle dans les rituels chamaniques des Achuars, peuple d’Amazonie pour qui les rêves, partagés au matin, servent de guide aux actions de la journée. Grégoire a eu l’occasion d’étudier et d’observer ces traditions séculaires, qui expriment une toute autre conception du rapport de l’être dansant à la nature et constitue une expérience corporelle imprégnée du mystère de son potentiel caché.

Par ailleurs, la collaboration de Grégoire avec l’éminent danseur et chorégraphe de butô Yoshito Ohno, avec qui elle a récemment présenté In between (2011), continue de marquer son travail. L’attention portée au corps comme moyen d’exploration introspective et lieu où s’opère une constante transformation, ainsi qu’une théâtralité lente et minimaliste mêlée de moments spasmodiques, rappellent cet art japonais développé dans les années 60.

Grégoire déploie avec une étonnante efficacité un univers physique et spatial évoquant l’isolement de la forêt, mais aussi celui que l’on peut ressentir en société et sur la scène. En effet, le spectacle fait alterner différents tableaux aux environnements sonores contrastés (conçus par Robert Marcel Lepage), dont les plus lyriques viennent jouer sur une thématique plus près de la réalité occidentale et établissent un contact avec le public. Laissant place à La Bohème de Charles Aznavour, la finale expose avec sobriété une émotion contenue qui ne laisse pas indifférent et démontre toute la subtilité de la présence scénique de Grégoire.

Il est alors dommage que certains tableaux quittent ce registre pour intégrer des éléments plus figuratifs, dont l’effet est nettement moins réussi. Le bâton tenu comme une pagaie ou une lance ne produit pas les meilleurs moments chorégraphiques, ni la longue perruque noire qui, cachant entièrement le visage de la danseuse courbée, ne manque pas de faire penser à une vieille sorcière. Certes, il n’est pas innocent que la notion de vieillesse, tout comme celle du rapport entre danse rituelle et gestes figuratifs, soient ainsi mises en jeu, mais le travail conceptuel souffre de ces représentations un peu trop caricaturales. Tout en voulant développer un sujet universel, et formulant par là une attente, celle d’une compréhension intuitive ou d’un rapport sérieux à l’oeuvre, Ciel et Cendres reste trop souvent un objet distant, auquel il est difficile de croire. C’est justement lorsque surviennent des déchirures dans le tissu de la représentation, que le geste entre en décalage avec la musique et que Grégoire fait directement face aux spectateurs que la proposition s’étoffe, devient plus incisive et intéressante.

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