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Crédit photo : Mathieu Pothier
C’est par la remise du 20e Prix Ella-Fitzgerald par Alain Simard et un petit discours de la part de Ben Harper que la soirée s’est ouverte, les gens présents étant déjà debout pour féliciter le chanteur de cet honneur remis auparavant à des artistes comme Diana Ross, Aretha Franklin ou Tony Bennett. Racontant sa première venue à Montréal en 1994 et témoignant du fait que, depuis les années, il n’a jamais rien vu de semblable au Festival International de Jazz de Montréal ailleurs, Harper a bien pris le temps de confirmer son attachement à la métropole avant d’aller s’installer tranquillement au milieu d’un fatras constitué de guitares, d’amplificateurs, d’une batterie et d’un piano.
La guitare slide hawaïenne à plat sur les genoux, Harper a commencé une douce mélodie mélancolique pendant que son groupe entrait sur scène. Charlie Musselwhite, l’harmonica aux lèvres, s’est ensuite joint à la lente plainte, tandis que les autres musiciens s’éveillaient lentement tour à tour. On aurait dit l’introduction d’un bon film, jusqu’à ce que la musique devienne plus groovy, puis franchement bluesy. Tout ce temps, sans qu’on le sache, il s’agissait d’un prélude à «Summertime», un joli clin d’œil à celle qui a donné son nom au prix que le musicien venait de se voir octroyer.
Puis, là, c’était vrai: un départ canon, contrastant avec cette introduction, pour un spectacle qui allait se révéler grandiose dans toute sa simplicité. Simple, parce que chacun des artistes mis en scène apparaît d’une grande authenticité, chacun sachant laisser ses moments de gloire à l’autre et ne cherchant pas à voler la vedette. Grandiose, parce que, déjà, l’équilibre est parfait entre les guitares électriques ou hawaïennes de Harper et l’harmonica de Musselwhite, entre la voix chaude du premier et celle plus expérimentée du second, et entre les sonorités rock aux influences folk et blues du plus jeune et l’univers très blues, qu’on reconnaît d’une autre génération, de l’aîné.
Si Ben Harper a assuré la majorité des voix chantées du concert, Charlie Musselwhite a tout de même prouvé à quelques occasions ses excellentes capacités vocales lors de quelques-unes de ses propres compositions, des oldies au rythme presque swing. Mais il faut dire que le plus jeune ne donne pas sa place non plus en termes d’aptitudes vocales. Interprétant «I Don’t Believe a Word You Say», qu’il a dédiée à Donald Trump (!), le chanteur répéta la phrase-titre de maintes façons, toujours dans un registre différent, alternant entre la voix de corps et celle de tête; une intensité vocale et une interprétation incarnée et sentie, suffisantes pour épater la galerie.
Pourtant, l’impression qu’on a de Ben Harper, c’est qu’il ne souhaite pas réellement épater la galerie. Combien de fois s’est-il retiré sur le côté pour laisser toute la place à Charlie Musselwhite lors d’un solo enlevant ou même pour ne pas cacher son batteur, déchaîné pendant un solo complètement dément durant «Found the One»? Parlant de tout et de n’importe quoi avec le public, se révélant même très comique grâce à quelques anecdotes concernant notamment l’album Stand Back de Musselwhite se retrouvant dans la collection de vinyles du grand Jimi Hendrix, Ben Harper apparaît comme un artiste absolument accessible, très terre-à-terre, d’une grande générosité et authenticité.
Malheureusement, sa guitare slide hawaïenne est la plupart du temps noyée dans la lourde instrumentation autour du musicien, qui n’est, par ailleurs, pas très habile dans les transitions entre les chansons, ce qui laisse place à plusieurs temps morts. L’harmonica, lui, tire bien son épingle du jeu, tout comme la guitare électrique, la batterie ainsi que la basse, tous manipulés par des musiciens de grand talent. Harper lui-même possède un fort sens du blues, même si la majorité de son répertoire tend davantage vers le folk-rock.
Enlevant son mythique chapeau pour offrir la très lente ballade «When Love Is Not Enough», Harper a laissé découvrir un interprète très sensible, vers la fin du spectacle, avant de contraster avec sa reprise de «When the Levee Breaks» dans un style très rock et avec grande intensité. Semblant vouloir ne jamais terminer ce concert, les musiciens ont tout donné jusqu’à la fin de cette longue chanson, avant de revenir pour un généreux rappel de trois chansons.
Se partageant pour la première fois une même chanson en alternant leurs voix pour les différents couplets de «No Mercy in This Land», Harper et Musselwhite avaient encore beaucoup d’énergie à offrir, malgré l’heure tardive. Livrant des interprétations très senties durant la toute dernière «All That Matters Now», pour laquelle le piano servît enfin, les deux musiciens ont tour à tour chauffé la salle avec des derniers solos, cependant tout en douceur.
Après avoir laissé l’harmoniciste effectuer un long solo, Ben Harper est revenu à l’avant de la scène chanter presque a capella, sans micro, dans une magnifique envolée d’une rare intensité et simplicité. C’est toutefois chapeau bien bas que le chanteur laissa au grand Charlie Musselwhite le soin de faire résonner les dernières notes de ce généreux concert de deux heures bien remplies, qui avait tout pour charmer n’importe quel amateur de musique blues.
L'avis
de la rédaction
Grille des chansons
1. When I Go (avec intro de Summertime)
2. Bad Habits
3. The Blues Overtook Me (Charlie Musselwhite)
4. I Don't Believe a Word You Say
5. Movin' On
6. I'm in I'm Out and I'm Gone
7. Trust You to Dig My Grave
8. I Ride at Dawn
9. Found the One
10. I'm Goin' Home (Charlie Musselwhite)
11. Blood Side Out
12. When Love is Not Enough
13. When the Levee Breaks (reprise)
Rappel
14. No Mercy in This Land
15. The Bottle Wins Again
16. All That Matters Now